On n'a pas les mêmes valeurs…

En quittant la Saône et Loire ce matin, pour la Savoie, il fallait être optimiste pour mettre le vélo dans le coffre, pluie battante et, de plus, on était en octobre.

Mais à Albertville le temps s'arrangeait quelque peu et je me décidai à gravir le dernier col de la saison, l'Arpettaz, col qui manquait à mon modeste palmarès.

Vu le peu de temps disponible mon épouse arrête la voiture à Ugine, au bas du col. Je sors le vélo du coffre et commence à monter les roues, lorsqu'un homme, d'un certain âge, arrive sur un vieux vélo. Il s'arrête et sans dire un mot, détaille ma monture, compte les pignons et plateaux et m'interpelle brusquement :
- «T'as quel âge ? C'est des développements d'asthmatique !».

Ma stupeur passée, je lui demande s'il est connaisseur, pour porter de tels jugements. Se frappant la poitrine, il se tourne vers moi : «J'ai 72 ans et j'ai fait trois fois le Tour de France, j’étais dans l’équipe d’Anquetil et je suis copain avec tous les Anciens !». C'était quand même une référence. Il poursuivit :
- «Qu'est-ce que tu vas faire ?».

Modestement, montrant la petite route qui partait dans la pente, je lui dis faire l'Arpettaz :
- «Mais t'es complètement con. A ton âge, on fait du plat, on fait le tour du lac d'Annecy. Quand tu auras monté ce machin, qui est très dur, tu seras bien avancé… Ca va t'apporter quoi ?».

Devant de tels encouragements je continuai quand même à me préparer sous le regard amusé de mon épouse. La conversation continua, plus détendue, sur sa carrière. Puis, bon prince, il me donna un sac de noix tiré d'une cagette fixée sur son vélo :
- «Des noix de mon verger, des bonnes. Allez, salut !».

Et il est reparti sur son vieux vélo. Je venais de rencontrer une ancienne et… toujours vedette.

Pour ma part j'ai gravi ce col magnifique mais dur (1150 m de dénivelé pour 17 km d'ascension), il avait raison, avec en prime, au sommet, une vue extraordinaire sur le Mont Blanc.

Gérard Nevers

CC 2078