Page 46a Sommaire de la revue N° 33 Page 48

Mon Aubisque à moi

Revue N° 33 Page 46b

Une manière comme une autre de fêter ses 75 piges !

Ma première grimpée de l'Aubisque, c'était en 1980, à l'âge de 50 ans, au cours de la RCP Pau-Luchon. Nous venions d'emménager dans la région de Bordeaux et c'était mon premier contact avec les Pyrénées. Deux moments forts me restent en mémoire de cette première grimpée. D'abord, la vision irréelle, dans les premiers lacets à la sortie de Laruns, de cette chenille ininterrompue de lumignons processionnaires avançant silencieusement dans l'obscurité de la nuit, rouges dans un lacet, blancs dans le suivant, suivant l'orientation des cyclos par rapport à mon poste d'observation ; ensuite l'arrivée au sommet du col, juste au moment du lever du soleil au-dessus d'un cirque du Litor noyé dans une mer de brume, photo qui a d'ailleurs fait la couverture du numéro suivant de « Cyclotourisme ». C'était tellement beau que deux ans et quatre ans plus tard, je repris le départ de Pau de la RCP, sans m'être inscrit, afin de revoir la chenille lumineuse et le lever du soleil, déguster une omelette au lard à l'auberge du sommet, et redescendre à Pau par le Soulor et le vallon de Ferrières, arrivant chez mon fils, palois, à temps pour prendre le petit déjeuner avec le reste de la famille.

Je grimpai aussi l'Aubisque, par l'autre côté, en 1985, au cours du Tour de France Randonneur que j'entrepris cette année-là en compagnie de mon copain André Gilet. Je me rappelle l'approche en fin d'une après-midi de septembre, lorsque dans le soleil rasant qui accentuait les reliefs, on vit l'objectif depuis le Soulor : l'auberge là-bas qui nous attendait en haut du col. Là encore, grimpée dans un calme et un silence si religieux que cela me fit penser au bruit et à la cohue qui devaient y régner quelques semaines auparavant quand le Tour de France professionnel y était passé à deux reprises... Moment d'extase au sommet, à contempler ce magnifique décor, avant de plonger sur Laruns, notre étape ce soir-là.

Cette année, pour fêter mon 75ème automne - je suis né en septembre, le 18, pour ceux qui voudraient savoir si je suis Vierge ou Balance - je cherchai quelque col prestigieux à grimper pour marquer cet événement. Le Stelvio ? c'était trop loin. La Bonette également. Surtout qu'il fallait être sûr du temps. Le 17, la météo annonçait grand beau temps sur les Pyrénées pour le lendemain et c'est alors que j'optai pour l'Aubisque.

Je mis mon réveil à tout hasard, mais à 5 h 30 j'étais debout, à 6 h je quittai la maison en voiture avec mon vélo en bandoulière ; à 9 h je quittai Laruns à vélo pour déguster mon Aubisque.

Le hors d'œuvre — les premiers lacets entre le carrefour à la sortie de Laruns et Eaux-Bonnes — fut excellent : une petite pente à 5% environ, de quoi s'échauffer gentiment et prendre un rythme qui durerait jusqu'au sommet — pas toujours sur le même braquet, je vous l'accorde ! Tiens, parlons braquets, ou plutôt développements, car j'étais sur mon Moulton. Hédoniste du vélo et des cols, j'avais récemment remplacé mes deux plateaux de 46-30 par 42-26, ce qui, avec mon 11-28 derrière me donnait un développement minimum de 1,42 m pour un maximum de 5,82 m, de quoi passer partout en souplesse, même avec un vélo qui pèse ses 17 kilos (mais avec quel confort ! surtout dans les descentes !)
Donc, je m'échauffais gentiment, à l'ombre encore, où il ne faisait que 5° à mon thermomètre, mais il n'y avait pas un nuage ni aucune brise et dès que je fus au soleil, un soleil radieux et puissant, j'enlevai les jambières, puis le blouson, restant à l'aise avec un simple T-shirt et mon cuissard. A Eaux-Bonnes, la pente se redresse tout à coup et j'y trouvai un café ouvert. Je m'arrêtai donc pour un bon café au lait et un croissant, mon petit-déjeuner étant déjà loin, et je repris mon ascension.

Quel délice ! pas de voitures (5 ou 6 dans toute la montée du col !) le silence à peine troublé par le croassement d'un corbeau ou d'une pie de temps à autre, un air léger qui évacuait presque instantanément toute transpiration, une luminosité exceptionnelle : j'étais au paradis du cyclotouriste.

Je pensais à tous les amis avec lesquels, au cours de ma vie, j'avais partagé de tels moments : les Gérard, les Claude, les André, et puis Fifi. Ah ! Fifi ! qu'il aurait été heureux de partager ce moment-ci avec moi et moi avec lui !

Quelques rares cyclos me doublaient, les uns me saluant d'un encouragement amical, d'autres ne daignant pas adresser la parole à l'escargot que j'étais à mes 4-6 km/h, mais ces derniers éprouvaient-ils le même plaisir indicible que moi ? En approchant de Gourette, l'espace s'agrandit, la vue embrasse le Gabizos et les pics environnants. Je sortis mon appareil photo et essayai de prendre quelques photos de moi pour me rappeler mon plaisir en tenant l'appareil à bout de bras - pas très réussies mais qu'importe...

En sortant de Gourette, là où la route est plus pentue à cause des glissements de terrain, il y a un panneau "4 km". Un des rares cyclistes me doublant à ce moment-là, j'entendis un murmure : « Encore quatre kilomètres ! » et moi qui me disais « plus que quatre kilomètres et mon plaisir sera terminé ! »

A midi pile, j'arrivai au sommet, posai mon vélo, m'étirai comme si je sortais d'un beau rêve et m'assis à l'ombre d'un parasol à la terrasse de l'auberge-refuge. Je commandai une omelette et une bonne bière brune que je dégustai lentement en admirant le magnifique paysage. De temps à autre, d'autres cyclistes arrivaient d'un côté ou de l'autre du col, mais avaient-ils eu le même plaisir intense que moi, au sommet, certes, mais au cours de la montée ?

Le repas consommé, j'enfilai mon vélo pour une descente grisante... A 14h je repartis en voiture et à 17h j'arrivai à la maison, à temps pour une tasse de thé avec mon épouse qui me dit « Tu t'es bien amusé ? » et je lui répondis « Oh que oui ! »

Je m'étais si bien amusé que j'y retournai 15 jours plus tard pour refaire la même ascension avec mon fils, qui allait fêter ses 46 ans, et mon petit-fils (13 ans et demi), ainsi que l’autre grand-père de ce dernier. Et qui arriva au sommet le premier ? Le plus jeune !

Vive l'Aubisque ! Je crois que dorénavant, j'y retournerai chaque septembre si Dieu me prête encore force et vie.

Philippe Meyer

CC n°84


Page 46a Sommaire de la revue N° 33 Page 48