Page 20 Sommaire de la revue N° 33 Page 23

« Bonzour wazaha »

Revue N° 33 Page 21

Ce sont assurément les deux mots que j'ai le plus entendus le long des quelques centaines de kilomètres parcourus à vélo sur les routes ou les pistes de « l'Ile rouge ».

Ils font l’effet d’une douce et lente onde de choc qui se propage à la même vitesse que moi. J'entends des cris à droite et à gauche de la route et je vois en même temps les petites têtes brunes se lever de leurs jeux ou de leurs occupations sur l’avant de ma route. Les plus proches se précipitent et crient « Bonzour waza ». Les plus éloignés lèvent la main et je devine les mêmes paroles prononcées sans presque les entendre. Des sourires découvrent une dentition blanche, encore intacte, et une réelle joie sur les visages accompagne cette rumeur qui me précède. Je dois parfois chercher d'où viennent ces cris et je découvre parfois les auteurs derrière un enclos à zébus, dans le lit d'une rivière ou parmi les piles de briques des nombreuses « briqueteries » artisanales. Cette liesse enfantine est déclenchée par ma silhouette casquée, mes couleurs vives et ma vélocité, trois éléments particulièrement incongrus, parmi les nombreux autres cyclistes autochtones.

Je me dois bien évidemment de répondre à ces signes amicaux et à ces « bonjour étranger ». Il m’a fallu d’abord apprendre la bonne réponse qui varie d’une ethnie à une autre. J'ai commencé par dire « manaona » chez les Mérinas des Hautes-terres, puis « tsara madyna » chez les Betsileo, « salame » chez les Bara et « Sala ama » en pays Sakalava. Mais partout, la même misère criante faite de vêtements en lambeaux, de pieds nus, de nez qui coulent, de peaux sales et d’absence de jouets les plus élémentaires.

Les maisons bien évidemment sont très rustiques. Chaque ethnie a su adapter un habitat en rapport avec ses coutumes nombreuses et complexes, son activité agricole, la végétation et la géologie environnante. Elles sont petites et comprennent souvent une pièce unique. Elles sont très souvent réalisées avec divers végétaux tressés et recouvertes de feuillages. On trouve également des maisons en briques élaborées à base de terre et cuites dans un four à charbon de bois. C’est la seule source d’énergie abordable et c’est aussi la cause d’une déforestation particulièrement inquiétante et qui occasionne ces profondes blessures caractéristiques de Madagascar dues au ruissellement des eaux pluviales, les lavaka.

Nous avons loué un 4X4 avec chauffeur à qui nous faisons part de nos projets de visites des parcs nationaux situés de part et d’autre de l’axe Tananarive-Tulear, long de 1200 km. J’ai loué également un objet hybride entre le VTC et le VTT de marque MALAKI, fabrication malgache, pour un coût modique de 5 € par jour (60 000FMG) et pour une durée de 12 jours. J’apprendrai plus tard que le prix d’un tel cycle neuf est d’environ 180 000 FMG. Le calcul n’est pas à mon avantage !

Pendant que mes amies et mon épouse (il y avait 3 dames avec moi) se lèvent doucettement, déjeunent abondamment, peaufinent leur toilette, je pédale dès le petit matin en direction de nouveaux paysages et de cols quand il s’en présente. La même opération se renouvelle à midi quand ces dames se remettent à table pour un repas exotique, prolongé par une petite visite dans les marchés. Quant à moi, je me contente, pour mes repas de midi, des succulentes petites bananes roses que j’achète sur le bord des routes. Je me rattrape au repas du soir.

Les cols, ici, sont des vozontany, des cols en terre me traduit Aimé, le chauffeur, en me montrant son col de chemise pour traduire le mot vozon et me montre le sol pour traduire le mot tany, terre. Je délaisse le col de Mahafompona (2386 m), accessible à VTT, au travers de la belle montagne de l’Ankaratra.
Mais je franchis vozontany Tapia au sud d’Antsirabé (1308 m). Je cherche vainement une pancarte que je ne m’attends d’ailleurs pas à trouver en ce pays en état d’appauvrissement avancé. Je me trouve sur les Hautes-terres, vaste étendue vallonnée d’où surgit parfois au loin, un massif plus haut, reliquat de très vieux volcans. Antsirabé, cette belle cité et ancien lieu de villégiature colonial est situé à 1550 m d’altitude ce qui lui confère un climat agréable. C’est maintenant un centre important de la taille et du négoce des pierres précieuses.

Quelques jours plus tard, je franchis vozontany Ratakatra (ou col d’Ambalavo) à 1309 m, avant de descendre sur Ambalavo. C’est la capitale du vin malgache, que nous avons bu sans enthousiasme à l’exception du clos Malaza blanc. Au sud se profilent les magnifiques bombements granitiques de l’Andringitra. Nous en avons parcouru une infime partie à pied à la recherche de Lémur catta, un charmant lémurien à la longue queue annelée blanche et noire. Ceux-ci sont véritablement sauvages et ne se laissent pas approcher de trop près. Nous en avons vu bien d’autres espèces au hasard de nos ballades dans les parcs. Nous en avons également nourris dans la main et avons subi quelques larcins quand nous n’étions pas assez généreux ou rapides à donner bananes ou ananas.

Aux collines boisées du Betsileo succèdent les grandes savanes du pays bara traversé par le splendide massif de l’Isalo aux reliefs ruiniformes de grés jaune ou brun. De profonds canyons abritent de véritables piscines naturelles bordées d’aloès, de bambous et de palmiers alimentées par des cascades caressantes pour qui s’y baigne.

En vélo, je traverse Ilakaka, la bien nommée, véritable bidonville champignon, issue de la ruée vers le saphir et autres pierres précieuses. C’est ce coupe-gorge que choisit un enfant pour traverser la route devant ma roue. Je l’évite de quelques millimètres et ne demande pas mon reste pour fuir ce lieu, tout heureux de l’issu favorable de cet incident pour l’enfant et moi même. Puis je grimpe sous un crachin breton un second vozontany Tapia à 1056 m qui marque une limite de provinces. A Toliara, sur le canal du Mozambique, tout proche du tropique du capricorne, une pancarte confirme la carte en indiquant en français, langue très largement utilisée là-bas, la réfection de la route N7 jusqu’au col des Tapias.

Désirant en savoir un peu plus sur les cols malgaches, je me suis rendu à la FTM, l’IGN locale, à Tana, afin d’étudier les cartes au 1/100 000 ou au 1/50 000. La vétusté des éditions est décevante et y interdit toute recherche fructueuse de col sur le papier.

Madagascar est un grand pays, aussi grand que la France et le Benelux réunis. L’île de Madagascar est aussi un beau pays, aux paysages variés, rythmés par un relief accidenté et une climatologie instantanée très nuancée. La flore et la faune présentent quelques particularités étonnantes et rares.

Mais c’est le peuple de Madagascar qui, à mon sens, laisse les plus beaux souvenirs. Ces gens sont d’une gentillesse extraordinaire, d’un calme et d’une douceur remarquable, arborent continuellement un large sourire, ignorent quasiment la mendicité et ont un sens aigu de l’hospitalité.

Bernard Giraudeau

CC n°3872


Page 20 Sommaire de la revue N° 33 Page 23