Chronique d'un échec en Alaska

En ce mois d'août dernier, j'étais en voyage dans ce beau et grand pays qu'est l'Alaska avec des amis peu cyclophiles. Une colite aiguë me terrassa un beau matin. J'avais une matinée de libre et le Thomson-pass était à moins de 25 miles (environ 40 km). Je louai un VTT et me voila parti à l'assaut de mon premier col du continent américain.

Je traverse tout d'abord la petite ville de Valdez. Les autochtones ont beau avoir des gros véhicules 4x4 ou autres, ils n'en demeurent pas moins calmes et cordiaux. Ils roulent lentement, respectent les stops et les feux, s'écartent notablement pour vous doubler. Je ne suis pas habitué, mais c'est très agréable. Je longe maintenant le fond du golfe sur une piste cyclable à quelques dizaines de mètres de la route. Partout autour de moi, se profilent les sommets enneigés avec les glaciers descendant jusque dans la vallée au travers de la forêt pour se jeter parfois dans la mer. Une splendeur.

Je retrouve la route en pénétrant dans la vallée au bout du golfe. La chaussée est large, macadamisée de neuf. Le cycliste se sent bien, malgré une élévation de plus en plus sensible de la route. Le fond de l'air est frais sans être froid et le ciel est bleu. A droite et à gauche, de longues cascades rebondissent sur les rochers et tombent dans la rivière qui coule sur ma droite. C'est le paradis.

Et à ma gauche, dans les petits ruisseaux affluents, c'est l'enfer. En effet, dégageant une odeur acre et tenace, se trouvent de très nombreuses frayères à saumons. Et dans chacune, y grouillent pèle-mêle plusieurs dizaines de mâles et de femelles. Chacun y déverse ses oeufs ou sa semence tout en se battant contre les rivaux ou les rivales. Si le cycle de la vie commence pour les uns, il se termine pour les géniteurs qui, épuisés par le voyage, le combat ou la jouissance finissent par succomber sur place avant de pourrir sur les lieux même de leurs seuls amours.

Quant à moi, je suis déjà au purgatoire. Je viens de dépasser une centrale à macadam en pleine activité et je suis maintenant à l'intérieur d'une impressionnante noria de gros camions venant charger ou repartant à plein. Le col est en vue à moins de deux miles, quand je rejoins une file d'autos arrêtée sur le bord de la route par un stop rouge vif, tenu à bout de bras par un employé. Je tente bien d'échapper à cet ordre en ne m'arrêtant pas. Un coup de sifflet strident me fait retrouver le sens des valeurs légales. Et c'est ainsi que je me retrouve installé dans le "pilot-car" en train de rouler vers le col devant la cohorte des autos suiveuses.

J'espère encore à ce moment là, pouvoir homologuer cette ascension en descendant deux miles de l'autre versant, de les remonter en vélo, et d'additionner mentalement les deux versants. Mais malheur à moi, le pilot-car dépasse le col et me relâche un mile plus bas. Ma petite pirouette intellectuelle est impossible. Je reprends donc le prochain pilot-car, traverse le Thomson-Pass pour la seconde fois de la journée en voiture.

Je me suis longtemps autorisé à inscrire cet unique col américain à mon palmarès. Il est maintenant à sa place dans la catégorie des mésaventures comiques.

Bernard GIRAUDEAU N°3872

d'AJACCIO (Corse)