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Death-Valley ? un souvenir brûlant...!

Revue N° 29 Page 22

J'ai en mémoire les exclamations angoissées de quelques-uns de nos amis quand nous leur avions annoncé que notre raid comportait la traversée du Désert de la Mort. Selon eux, c'était un défi inhumain, et nous risquions de laisser nos squelettes blanchir sur le bord de la route jusqu'à ce qu'ils retournent en poussière et se mêlent au sel qui tapisse la vallée. Rien que
cela !

D'autres l'ont fait avant nous, avais-je répondu, et en sont revenus, réchauffés certes, mais sains et saufs !

Et c'est sans appréhension que nous avons plongé, du sommet du Salsburry Pass (1002 m) , vers Death-Valley et la fournaise annoncée. Selon les Rangers, il fallait prendre toutes les précautions, car la température prévue pour ce 18 août, devait atteindre des sommets, avec 58° Centigrades et peut-être davantage !

Le transfert en voiture depuis Las Végas et la préparation des vélos ont pris plus de temps qu'il eut été raisonnable, et c'est seulement vers 7 heures et quart que nous passons devant le panneau indiquant qu'il n'y a plus de ravitaillement possible, même en eau, avant Fumace Creek, une oasis située à 60 miles (97 km) d'ici. Heureusement, nos accompagnateurs ont bourré les glacières d'eau, de coca-cola et de glace ainsi que de quelques fruits et sandwichs.

De l'eau pour boire, car le contenu de nos bidons, même largement pourvus de glaçons à chaque remplissage, est bouillant au bout d'un quart d'heure.

De l'eau pour s'arroser aussi souvent que possible, car la déshydratation est intense et vérifiable.
L'air est sec, il n'y a pratiquement pas de vent, et nous ne transpirons pas, du moins en apparence, car la sueur est évaporée instantanément dès qu'elle sort des pores de la peau, que nous avons par ailleurs, amplement couverte de crème à haut degré de protection.

L'environnement est impressionnant d'aridité, de dimension aussi. Le ruban de bitume - qui reste curieusement indifférent aux terribles rayons solaires et qui ne fond pas du tout - ondule à perte de vue au milieu d'une étendue de sable ocre ou rose, entre des champs de sel dont la blancheur est éblouissante. De part et d'autre, à peine brumeuses, deux chaînes de montagnes, nues et colorées aussi d'ocre et de rose et dont certains sommets culminent à plus de 3000 mètres, se dessinent à perte de vue.
Ainsi donc, longeons-nous la Sierra Névada !

Nous frissonnons, pas de froid - mon thermomètre dépasse les 58° C - mais d'émotion et de plaisir. Surtout que voici le panneau qui signale que nous passons sous le niveau de la mer. La côte minimale sera bientôt de moins soixante mètres. Et plus l'altimètre baisse, plus le thermomètre grimpe ! La route aussi, mais soudain, juste derrière un miraculeux bouquet d'arbres ? Fumace Creek, l'oasis annoncée. Le self est envahi et les fontaines à coca manquent de tarir. Il nous faut grignoter un peu, s'asperger encore et, c'est reparti...
Quarante kilomètres d'un spectacle toujours aussi prenant, quelques dunes, et une dernière oasis, puis, c'est le morceau de roi ! On attaque un col (Townes Pass) qui va culminer à 1600 mètres. Vingt-neuf kilomètres d'une grimpée éprouvante, sans une ombre, sans un arbre, sans un arbuste ou buisson. Des rampes qui frisent parfois les 9 à 10 % ! Les moteurs des rares camions et des peu nombreuses voitures chauffent et peinent. Nous, nous chauffons aussi, transformés en grillades sur roulettes ! Beaucoup ont renoncé et ont trouvé refuge dans les voitures. J'ignore combien sont allés au bout, encouragés par les amis, arrosés, ravitaillés en eau glacée, surveillés par le toubib (un cycliste sympa entre tous qui avait préféré ne pas faire l'étape pour se mettre au service des autres) . Dur, très dur certes, mais pas la galère tout de même.... Et tellement beau, tellement exceptionnel....et tellement motivés !!!

Dans les dernières rampes - aucune borne, aucun panneau pour permettre de savoir où vraiment nous en sommes - , le vent se met de la partie ; bon signe en général, il est tiède, mais nous semble frais et de face suivant les lacets. Oui, je dis lacets....après toutes les lignes droites interminables !

Marc Bouet nous "immortalise" en pleine lutte et nous lance : "plus que deux kilomètres !" . Sacré Marc, tellement imprégné de son aventure américaine qu'il en a confondu kilomètres et miles. Nous le vouons aux gémonies le temps de nos derniers efforts, mais nous l'embrassons volontiers pour les splendeurs qu'il nous offre au cours de ce voyage.

Passé le col, nous allons plonger vers Panamint Springs, une autre oasis constituée d'un unique et petit motel au confort spartiate. Un Paradis néanmoins, même pour ceux qui coucheront dehors, car, il n'y a pas assez de place pour les 67 membres de l'expédition, même en logeant à cinq par chambre.

Du sommet du col, on peut apercevoir, 1600 m plus bas, une autre vallée, un autre désert de sable et de sel et plus en arrière, encore une autre chaîne de montagnes au pied de Panamint Springs. Le ruban d'asphalte se déroule sur plus de vingt kilomètres en larges courbes, selon une pente très rapide jusqu'au faux-plat de la vallée. Impressionnant et superbe !

Mais jamais je n'avais dévalé un col aussi long avec tant d'angoisse. Au sommet, il fait encore 45° et plus on descend, plus le mercure s'élève ; alors, nous craignons un éventuel éclatement et nous ne touchons pas aux freins. Après avoir frôlé le 90 km/h, je confie à Dieu notre sauvegarde et je ne respire un bon coup que lorsque la pente s'adoucit, et quand je sens Annie pas très loin derrière, dans mon sillage. C'est seulement à ce moment-là que j'ai compris que nous finirions l'étape sains et saufs.

Un groupe de cyclos et accompagnateurs, installés à la terrasse du motel et occupés à siroter l'âpre bière du Mineur, nous applaudissent avec beaucoup de gentillesse. Je suis ému aux larmes et il m'a bien fallu trois " Large Glass " de bière du Mineur pour me remettre d'une pareille journée.

Jacques LACROIX N°1026

de BOURGES (Cher)


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