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L'Iseran et le Polonais

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Ce pourrait être le titre d'une fable de La Fontaine. Ce n'est en réalité que l'histoire d'une rencontre insolite sur les pentes du plus haut col routier de France en août 1998.

Quelque part après avoir quitté Val d'Isère, sur ce faux plat montant assez rectiligne qui mène au pont St-Charles enjambant l'Isère, nous avions en point de mire un cyclo qui paraissait bien chargé, mais que nous n'arrivions pas à rattraper, malgré nos légères montures ; ce qui est somme toute, toujours assez frustrant.

Ne connaissant pas les futures rampes de ce col "fameux", nous allions à notre train, tout en en gardant sous la pédale ; il est préférable d'être prudent! Cependant, nous aurions quand même aimé voir notre retard se réduire malgré notre bonne volonté de ne pas accélérer, mais notre cyclo restait toujours à distance, sans que celle-ci ne semblât diminuer.

Après le pont St-Charles, là où la route tourne à droite et entame une nouvelle ligne droite, cette fois-ci plus pentue, brusquement le cyclo s'arrêta : voulait-il souffler un peu ou prendre quelques photos? De là, la vue plongeante sur Val d'Isère est magnifique.

Ravis de l'aubaine, nous arrivons à sa hauteur (sans grands efforts supplémentaires) et nous nous arrêtons quelques mètres plus haut, alors qu'il farfouillait dans ses sacoches. C'est plus fort que moi, dès que je rencontre un "voyageur au long cours", il faut que je converse avec lui. Vu de plus près, le chargement est encore plus impressionnant : sacoches avant, sac de guidon, sacoches arrières surmontées de la toile de tente, du matelas mousse, du sac de couchage et du sac de survie, le tout disposé sur un engin à la tubulure surdimensionnée plus près du tandem que de la randonneuse la plus robuste, avec des pneumatiques à section plus que respectable et un guidon VTT. Quand au cyclo, n'en parlons pas : un solide gaillard d'au moins un mètre quatre-vingt dix pour plus d'un quintal sans doute!

"Bonjour, comment ça va, magnifique le coin?" lui lançais-je tout en lui montrant le panorama (silence de sa part). Devant son évidente incompréhension de notre langue, je m'essaye, heum... à l'anglais :
" You don't speak french ?
No I understand just english.
You are english ? "
No, I am coming from Poland "me répond-il avec un accent qui n'est ni celui d'Oxford ni celui de Cambridge!"
Donc, il était Polonais et arrivait de son lointain village, à la frontière de l'Ukraine, tout en me précisant qu'il roulait depuis presque deux mois. La conversation ne se passait pas trop mal finalement, malgré mon rudimentaire anglais et son fort accent slave. Il sortit des cartes routières et m'expliqua son voyage. D'abord monté jusqu'au cercle polaire en Norvège, il était redescendu par le Danemark, l'Allemagne et la Suisse avant d'arriver en France. Maintenant, il comptait rallier Madrid sous 15 jours. Plus de 10000 km avec 45 kg de bagages! Moi qui venais de boucler péniblement mon Tour de France de 5500 km avec seulement un bagage de 12 kg, je commençais à relativiser mon périple... Par contre, j'aurais pu être son grand-père ou presque, car il ne me déclarait que 28 printemps ; maigre consolation !
Après un bon quart d'heure de laborieuses discussions, d'explications et de comparaisons, nous enfourchons moi, mon "pur sang", lui son "percheron"; il nous reste quand même 15 km avant le sommet !

Nous cheminerons un moment ensemble, puis il nous laissera filer (un bien grand mot pour qualifier notre allure de gastéropode) pour monter à son rythme et surtout pour prendre une multitude de photos. Au sommet, nous ne l'attendrons pas plus de vingt minutes, après que nous ayons sacrifié à la traditionnelle séance de photos devant la monumentale stèle de pierre marquant le sommet. Nous en ferons beaucoup d'autres avec lui, équipé comme un pro avec deux appareils aux zooms impressionnants et un camescope.

Mais il fait froid à cette altitude et le vent violent est glacial, ce qui nous oblige à nous engouffrer bien vite dans le restaurant du col pour y trouver chaleur et abri. Le temps d'avaler le plat du jour, un demi-pression et un café, nous partageons des moments très forts avec notre éphémère compagnon d'escalade. Nous apprendrons qu'il travaille dans une banque, qu'il est marié et que son épouse attend un bébé pour début 99 ; ce qui lui interdira tout long voyage pour un bon bout de temps. "Alors, j'en profite maintenant pour découvrir l'Europe de l'Ouest", nous dit-il. Cette relation naissante, on voudrait bien l'approfondir, malgré nos difficultés à communiquer lorsque la conversation devient plus intéressante et plus complexe et surtout ne pas la perdre en se quittant ; alors, nous échangeons nos adresses. "Promis, je vous écrirai et vous enverrai des photos" lui dis-je en guise d'au revoir.
"Oui, merci beaucoup, mais écrivez-moi en anglais", me répétait-il à plusieurs reprises et, tandis qu'il enfourchait sa lourde monture pour dévaler vers le Sud, nous, nous redescendions du côté de Val d'Isère .

Depuis mon retour en Arles, je lui ai écrit (en anglais) et adressé plusieurs photos de notre rencontre de l'Iseran. Mais, à ce jour, je n'ai toujours pas eu de réponse....

Chaque jour, je guette le facteur pour voir si, de sa grosse sacoche, il ne sort pas une petite missive venue d'un pays où il fait si froid.... Et qui me ferait tellement chaud au cœur !

Philippe DEGRELLE N°3165

de RAPHELE (Bouches-du-Rhône)


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