Luz St Sauveur : la grosse pluie d'orage de la nuit n'a aucunement perturbé notre chambrée ! Encore moins le départ matinal du "papy marcheur" ! Je suis le second à m'extirper des toiles et à m'extraire doucement de la pièce afin de retrouver biclou qui a dormi debout, comme tout bon cheval, dans la grande salle commune de l'auberge de jeunesse voisine. Il est temps de s'engager vers les gorges montantes de St Sauveur par une route délicieusement encaissée qui multiplie sa dénivellation au gré de ses serpentins réguliers. Compatissant, le ciel garde ses vannes soigneusement fermées malgré l'insistance d'épais cumulo-nimbus! La brume matinale s'estompe petit à petit, dévoilant quelques vues verdoyantes comme je les aime, surtout à cette heure bénie des départs matinaux. Les senteurs d'une nuit humide me caressent affectueusement les narines tandis que se dessine la silhouette escarpée du petit village de Gèdres, très fréquenté par les randonneurs pédestres qui se décoincent de leur torpeur nocturne, à l'assaut de quelques bons sentiers. Saluts respectifs de rigueur et cap sur Gavarnie en admirant cascades et rochers dominateurs qui font escorte à cette belle départementale du bout du monde. GAVARNIE ! Le temps de moins en moins serein fait que ce n'est pas encore le... cirque (bof !) dans ce village "Locronanisé" qui ne possède toutefois pas les pierres séculaires de notre vivifiante petite cité de caractère finistérienne ! Perché à près de 1400m au dessus du niveau de la mer (Atlantique ou Méditerranée-au choix), ce bourg se partage la tâche entre le ski de fond, l'hiver et les randonnées pédestres ou vététistes, l'été. Sans parler bien sûr du tourisme statique qui remplit les caisses à coup de chevaux vapeurs fumants et que le temps maussade a le bon goût d'éloigner, ce jour, de mes pérégrinations. A peine le temps de m'enquérir d'un petit bistrot et d'une boulangerie, que ces damnés nuages décident de larguer leur cargaison ! Et c'est du copieux ! Alors vite fait chez l'épicière qui m'incite toutefois à poursuivre quand même vers le Port de Gavarnie (on dit aussi"Boucharo") : "Souvent il ne pleut pas là-haut !" , me lance sans rire cette sympathique personne à qui je promets deux bisous sur ses bonnes joues au retour si ses "Gilot-pétries" venaient miraculeusement à se confirmer ! Je charge donc la musette d'un savoureux morceau de pâté de lapin, agrémenté d'un petit paquet de chips "à l'ancienne" et d'une boite de Coca que je savourerai la "victoire" venue, au sommet convoité. J'ignore encore que les 13km à venir vont constituer l'une de mes plus belles pages de cyclotourisme montagnard ! Revigoré par un grand café-croissants et le temps qui s'est subitement arrangé, j'entreprends donc cette escalade du Boucharo via le col de Tentes, déjà en solitaire au sortir même de Gavarnie. C'est pentu ! C'est très ventu aussi ! Un coup pleine poire (5 à l'heure), un coup plein cul (20 à l'heure) équilibrent la délicieuse ascension de cette vallée des Espécières, bordant le fameux cirque qui se devine dans le lointain. Pour l'heure, c'est l'extase totale face à cette "planante" beauté sauvage ! Seul, complètement seul, au milieu de vastes étendues où se mélangent herbe rase et rocaille grise au coeur desquelles serpentent quelques petits torrents bien fournis. Le ciel qui se dégage de temps à autre laisse apparaître les hauteurs majestueuses des pics voisins encore bien enneigés, dont celui des Tentes, vers lequel je hisse ma carcasse au rythme saccadé des sautes d'humeur de ce sacré zéphyr frisquet. Des marcheurs bien chargés coupent les nombreux virages dont chaque sortie me propulse vers de vivifiantes découvertes ; étonnantes aussi, comme ces troupeaux de moutons colorés en vert comme si on voulait qu'ils se confondent avec le sol ! Je ne pense pas que ce soit pour les vautours que je découvre pour la première fois de si près ! Impressionnants, ces rapaces au cou dénudé ! Et toujours aussi coquin le sifflement des marmottes, oublié depuis le col des Champs escaladé en 91. J'ignorais qu'il existait ces adorables rongeurs dans les Pyrénées, et je profite au maximum du spectacle offert par leur "vigile" de service, en l'occurence le siffleur, dressé du plus tendu qu'il peut sur son séant afin d'ameuter sa petite troupe familiale à la moindre alerte. Et là, à priori, j'en constitue une sévère ! Le guetteur poilu daignera déguerpir au tout dernier instant de mon passage, pourtant pacifique. Cette scène se répétera à plusieurs reprises, au gré de cette splendide ascension savourée mètre par mètre, par l'ensemble de mes sens. |
Même la présence morbide d'un remonte-pentes qui ose traverser la route un court instant, ne parvient pas à troubler cette sensation de quiétude. Il faut dire que l'ensemble ne fonctionnera qu'en hiver. N'empêche que c'est pas la joie cette succession de pylônes portant câbles et cabines du plus hideux qui soit ... c'est la détérioration de nos sites les plus prestigieux. Le ciel bien chargé incite plutôt à la poursuite de l'escalade afin de pouvoir profiter un peu des sommets routiers. Un petit aménagement destiné au stationnement des véhicules à moteur interdits de circulation au delà de ce terme marque en effet l'arrivée au col de Tentes. A 2 kilomètres de là, le Port de Boucharo n'est plus accessible qu'aux seuls marcheurs et cyclistes escaladeurs car de gros rochers en obstruent l'accès. Je pense d'abord à un éboulement mais saurai plus tard qu'il s'agit d'une disposition municipale visant à épargner les outrages répétés par les "quatre-quatre" et autres motos ..."vertes" aux chemins de randonnées frontaliers. Le Port de Boucharo est atteint en longeant un épais mur de neige durcie tandis que le vent siffle parmi des nuages, cavalant de plus en plus vite. Et là, tout près du précipice inquiétant, le fameux Cirque de Gavarnie m'en impose à en frémir ! C'est majestueux ; l'envie de gueuler dans le vide me prend soudain. Une sorte de libération explosive de ce bien-être d'autant mieux ressenti qu'il a été gagné à la force de l'effort et de la patience.Une récompense aussi! Oh que, face à cette montagne à la puissante beauté, j'ai eu raison d'avoir choisi d'y aller malgré le temps incertain ! Un temps de connivence momentanée qui me laissera deux fortes heures de répit afin de pouvoir déguster, outre le frugal contenu de ma musette, l'amplitude quasi solitaire et extraordinaire du site. Bien protégé du vent qui par instants fait du zèle, assis face au grandiose, le pâté de lapin a le goût du foie gras et l'eau de Vichy, celui du Champagne ! Ne parlons pas du coca savouré comme un pur malt sitôt mon arrivée ! L'avantage de ne pas être limité par le temps permet ce grand moment d'extase que partagent avec moi quelques rares personnes en partance pour un brin de rando pédestre. Parmi elles un couple de Landerneau qui, me voyant faire de nombreux clichés, me propose d'y ajouter ma frêle prestance au centre de ce gigantisme imposant. Deux heures d'un grand bonheur malgré le regret de n'être pas allé (à pied) jusqu'à la célèbre Brêche de Roland dominée par quelques sommets à plus de 3300 mètres. Le ciel noircit ! L'alerte est alors donnée et il faut décamper rapidos afin de ne pas redescendre sous la flotte. J'éprouve comme jamais un mal fou à m'arracher de ce lieu mythique ! Les mêmes sensations d'ampleur qu'en traversant l'immense désert de Lozère ou la beauté sèche et odorante de lavande des Alpes de Haute Provence. Là, j'avoue que les Pyrénées m'ont étonné, pour la première fois et, je le saurai dès le lendemain, pas la dernière ! Descente prudente "because" le vent déporteur, quelques dernières rincées oculaires, et Gavarnie est retrouvée. Malheureusement ma gentille commerçante a fermé boutique ; tant pis, je garde les deux bisous promis et poursuis la course contre les éléments de plus en plus déchaînés. Il a beaucoup plu en dessous de 1500m ! La route est détrempée et quelques gouttes de traîne m'étreignent le visage en traversant Gèdres. Arrêt café-conversation avec le patron qui évoque les longs mois d'hiver, enfoui sous la neige. Un autre type de vie qui, je l'avoue, ne me conviendrait pas à cette altitude. Luz St Sauveur : il est 16h. La civilisation grouille dans les rues ! Histoire d'ajouter quelques bornes au compteur, je mets le cap sur le petit village de Vizos dominant la vallée. Vieilles pierres retapées en maisons habitées et, incroyable : WC publics ... avec papier toilette ! Par contre il n'y a pas que la chasse qui distribue généreusement l'élément liquide ! Voilà le ciel qui se pique une méga colère grondante m'obligeant pour la première fois à solliciter l'imper. Heureusement l'hôtel est à l'entrée de la ville; je m'y engouffre fissa ! Gérard CLASSE N°3413 de QUIMPER (Finistère) |