Ha ! Si seulement j'avais un 26 dents... Je serais un peu plus à mon aise... Quoiqu'il en soit, je suis très heureux, même si ma progression est plutôt laborieuse, de m'élever sur les pentes raides d'une minuscule route qui rejoint la RN 3 à Bourg Murat. C'est grâce à l'obligeance de Jasmin Hubert, le sympathique Président du CD 974 que j'ai la chance de faire du vélo dans ce merveilleux endroit qu'est l'île de la Réunion... et je lui en suis reconnaissant même si je regrette un peu le caractère sportif de l'étagement des couronnes de la roue libre. Passées les dernières maisons du Ving-Septième, la pente s'assagit quelque peu et je peux enfin goûter les joies du cyclotourisme. Le paysage s'est constamment modifié et après la démesure des champs de canne à sucre penchant vers les immensités bleutées de l'Océan Indien j'ai la surprise de découvrir une lande fleurie. Roses et ajoncs jettent leurs notes de couleur dans de vastes prairies où paissent de pacifiques troupeaux. A droite... le piton rouge... A gauche, le piton bleu !!! Voilà une situation paradoxale bien capable de semer la panique à l'Assemblée Nationale. Cônes caractéristiques... ils témoignent du volcanisme créateur de l'Ile. Me voici enfin au col de Bellevue : 1606 mètres. La fin de l'ascension est bien plus facile que le début... c'est toujours ça de pris. L'échancrure du col marque peu la ligne de crête qui descend du cratère extérieur du Piton de la Fournaise et remonte insensiblement vers le point culminant de l'Ile : le piton des Neiges. A mes pieds... un extraordinaire moutonnement de verdure déferle jusqu'à la côte Est qui brille sous le soleil. Les vagues qui se brisent sur la barrière de corail signent leurs assauts d'un long trait blanc que l'on distingue très bien du col, même s'il y a plus de 20 kilomètres entre les deux. C'est dimanche, les habitants d'en bas sont nombreux à venir prendre le frais dans les hauts. Autocars et voitures encombrent les emplacements de stationnement et des groupes joyeux s'enfoncent dans le maquis voisin. Des marchands ambulants proposent bananes, letchis, mangues et autres fruits savoureux, vu le nombre de leurs clients les affaires ont l'air de prospérer. Je ne m'attarde pas outre mesure et je m'engage prudemment dans une descente impressionnante. Les freins commencent à grincer et leurs fausses notes ponctuent ma progression en direction de la Plaine des Palmistes. A nouveau le paysage se modifie et des pâturages je suis passé à la forêt tropicale. Des fuchsias agitent leurs rouges grappes du haut de leurs deux mètres. Les fougères arborescentes jouent aux palmiers pour s'échapper de cet océan végétal et déplier les somptueuses dentelles de leur ombrelle. L'immaculée blancheur des arums signale les endroits plus humides. Et je me laisse glisser dans ce merveilleux jardin. Les virages se succèdent, les lacets déroulent leurs savantes courbes permettant à la route de perdre 70 à 80 mètres tous les kilomètres. Il commence à faire très chaud, malgré la descente. Je reste vigilant et je ne rate pas la route qui file au Nord. File est le mot juste, surtout dans ce sens, en fait la descente est vertigineuse et j'ai bien du mal à contrôler la machine que j'ai emprunté. Rapidement j'arrive à un nouveau croisement où j'emprunte une piste confortablement constituée d'un sable volcanique à la couleur rouge du plus bel effet. Les gens de l'ONF ont très bien fait les choses et ma progression n'est pas affectée par ce changement de revêtement. Des affiches m'incitent à la prudence... elles signalent la présence de "taureaux furieux" ... bigre... je n'aime guère... En fait de taureaux je n'ai droit qu'à la poursuite d'un affreux roquet qui me contraint à une fuite peu glorieuse. Je pénètre maintenant dans le royaume de l'Office National des Forêts... Des cryptomerias escaladent en rangs serrés les flancs voisins de la route et par la densité de leur peuplement j'ai l'impression d'être dans les Vosges. La route est belle et j'apprécie la fraîcheur du couvert. Sur les bas côtés des fraises des bois grosses comme des cerises me font des appels de phares, je ne tombe pas dans le piège qu'elles essaient de me tendre car je sais (par expérience récente) qu'elles sont, sans être toxiques, particulièrement infectes. |
Le chemin sort de la forêt et s'élève gentiment d'abord pour devenir soudain une route goudronnée qui grimpe sèchement. Je tire sur le guidon, je m'acharne, la bicyclette couine, grince, se plaint, je m'entête, je force et tire la langue en suant à grosses gouttes... ouf, je passe de justesse. Je suis au col de Bebour à 1640 mètres. Dire que j'ai fait plus de 10.000 kilomètres en avion pour ajouter deux cols à ma liste. La luxuriante forêt tropicale s'offre à mes yeux dans toute son inquiétante splendeur. Je n'ai pas assez de mes deux yeux pour admirer et l'appareil de photo vient à la rescousse. Des promeneurs occupent déjà les aires de pique-nique et semblent assez surpris de me voir rouler en ces lieux. Je dois dire que j'ai davantage vu des vélos sur les routes côtières que dans les montées menant vers l'intérieur. Une petite pause... et déjà il me faut songer au retour. Je m'équipe pour la rencontre avec le cerbère de service... une mince antenne métallique qui traînait par là fera l'affaire pense je en la faisant plusieurs fois siffler dans l'air. Mes préparatifs belliqueux ne me sont d'aucune utilité... la bestiole ne daigne même pas me jeter un regard. Notez que j'en suis plutôt satisfait, car je n'ai pas une grande expérience de la charge sabre au clair en vélo. Il y a là matière à réfléchir et je me demande si ce genre d'épreuve ne devrait pas être introduit dans le Critérium du jeune cyclo. La remontée sur la RN3 est plus que pénible. Je suis contraint de mettre pied à terre une première fois en me désolant... ... "Ah, si seulement, j'avais mon 30 x 26, ce rampaillou, à défaut d'Alfred... il aurait le bonjour de René. Revenu sur grande route je grignote lentement la pente qui monte au col. La fraîcheur matinale fait maintenant place à une épouvantable chaleur. Un soleil implacable s'amuse follement avec mes rayons. Un peu ça va... mais trop c'est trop et je commence à trouver la note à payer passablement salée. Là haut sur la crête, je devine l'échancrure du col qui me fait de discrets appels, mais je suis incapable d'aller plus vite. J'en profite pour admirer la végétation et je reste bouche bée en découvrant que la plupart des buissons qui poussent en bordure du chemin sont en fait des massifs d'hortensias. Sous cette latitude la luxuriance de la nature n'est pas étonnante, mais il faut malgré tout s'y habituer. Ha ! C'est trop dur... je m'arrête et souffle un peu. Une gorgée d'eau tiède et une banane séchée sont les bienvenues. J'ai la tête qui tourne et pourtant il n'y a pas de "ptit sec" dans le bidon. Les efforts en pleine chaleur sous ce soleil fantastique sont sûrement responsables de mon indisposition. Une petite pause à l'ombre me fait beaucoup de bien tout comme les encouragements des occupants des nombreuses voitures qui montent vers la fraîcheur des hautes terres. La casquette, avec la visière dans le dos, bien enfoncée sur la tête... les cales-pieds bien serrés... ça y est, c'est reparti. Seuls les virages font un peu mal car maintenant les lignes droites sont presque plates. Ça y est... le Col de Bellevue est repassé. Du 48 x 24, je passe sur le 52 x 14 et je file sans complexe dans le faux plat de la Grande Montée. Le vent de la course me rafraîchit agréablement et me fait oublier mes difficultés passées. La descente continue plus rapide et je traverse des villages aux noms curieux : Le 27ème... le 23ème... sans percevoir le moindre cycliste avec qui échanger mes impressions. Si... là haut sur un chemin conduisant à un ilet à l'écart j'aperçois une silhouette familière, mais nos routes ne se croisent pas et il me faut rentrer seul à la maison. Me voici arrivé... il est midi... le voisin m'offre au passage un "petit sec*" histoire de me donner de l'appétit (comme si après une telle randonnée, j'allais en manquer !). Mes autres promenades ne furent pas aussi éprouvantes malgré le relief prononcé de l'île et j'en tire la conclusion suivante : En cas de retour en ce beau pays, il est indispensable que je me munisse de mon vélo, ne serait-ce que pour venir à bout du troisième col de l'île : Le Pas de Bellecombe à 2311 mètres... une bien belle chose plus proche du muletier que du col ordinaire. Si le cœur vous en dit ! René CODANI Lardy |