Le Ladakh, si petit au nord de l'Inde, en plein coeur de l'Himalaya, mais pourtant grand comme une Suisse qui ne posséderait guère qu'une route revêtue ! Le Ladakh, dont les altitudes s'étagent entre 3 000 et plus de 7 000 mètres. Le Ladakh se découvre à vélo - un peu - et à pied - beaucoup - On lira le récit de Patrice Bréhant dans Cyclotourisme de mars 85, récit enthousiasmé pour son parcours. Patrice nous a écrit, conseillé avant notre départ. Nous avons repris la route de Srinagar à Leh, l'unique route ouverte, avec un plaisir croissant. Mais la vie a évolué, le long de cette voie de pénétration facile, avec les centaines de touristes l'été, les milliers de militaires qui attendent, le regard tourné vers le Nord, un ennemi Chinois ou Pakistanais. Nouveau "désert des Tartares"... La vie est plus riche, plus banale. Le cyclotouriste au Ladakh devra également laisser son vélo au moins une semaine pour partir à pied vers les lointains villages, où la vie n'a pas changé depuis des siècles, au-delà des cols à plus de 5000 mètres parfois couverts de neige, et percevoir l'âpreté de l'existence : un hiver long et parmi les plus froids du monde (- 30°). Une survie conditionnée par la maigre récolte d'orge de la saison d'été, et quelques têtes de bétail, dans un climat quasi-désertique (quelques centimètres d'eau par an dans les vallées) où seuls des réseaux d'irrigation minutieux, sans arrêt entretenus, surveillés, améliorés, permettent les récoltes, sur des champs minuscules où pas un mètre carré n'est perdu. Pas ou peu de bois pour se chauffer, des maisons de terre remarquablement conçues, des monastères admirables où se sont développées des formes de bouddhisme ascétiques à faire frissonner... Ladakh, pays de cols, étymologiquement. Un des plus beaux paysages minéraux du monde, alors que l'absence de végétation et la sécheresse du climat amplifient les nuances d'érosion jusqu'à rendre perceptibles les moindres variations de nature et de couleurs des roches... paradis du photographe ou du géologue. Pouvais-je faire moins que de donner cet infime aperçu du cadre géographique, avant de parler en cyclotouriste, pour souligner finalement que le vélo trouve ici ses limites - à moins de cyclomuletades douteuses peu compatibles avec de lourds bagages et somme toute avec le plaisir - et qu'il faut savoir les accepter, pour aller plus loin dans la découverte. Le Ladakh est ouvert aux étrangers depuis seulement 1974. On entre au Ladakh depuis l'immense plaine du Cachemire, à 1700 mètres d'altitude, oasis de cultures ceinturée de montagnes qui culminent entre 3000 et 3500 mètres. Quitter Srinagar, ses hôtels flottants, ses rues animées de bazar très oriental, musulman, c'est quitter la dernière apparence de ville organisée Une longue route de vallée monte progressivement, escaladant le paysage de rivières, parsemée de petites villages, sillonnée par les inévitables autobus indiens bruyants, cahotants et surchargés. Un premier ressaut le long d'un gros torrent, dans un paysage de forêt de cèdres fait déboucher - péniblement car la pente est rude - dans le bassin de Sonamarg, à 2600 mètres. C'est l'arrêt de midi de tous les autocars et camions qui font la route, et cela semble être l'unique raison d'être de ce village - succession de magasins et d'échoppes, et déjà une faune de colporteurs pittoresques qui vendent des potions miraculeuses. Plus haut, à flanc d'une immense corniche - le passage prend des proportions gigantesques - et sur une route défoncée, en terre et cailloux, la progression est plus pénible. Des lacets, et voici les dernières courbes vers la "porte de l'Inde". A droite, des centaines de mètres de vide à l'aplomb de la pédale - comme un cirque du Litor qui serait aussi minéral que la Casse déserte. Les premiers névés, une fois doublé des théories de camions chargés, aux conducteurs sympathiques, luttant péniblement contre la pente, souvent arrêtés pour faire reposer le moteur. Les premiers névés d'un col fermé 8 mois par an, le seul qui mène au Ladakh, le Zojila, à plus de 3500 mètres d'altitude (L'isolement serait encore total sans la petite piste d'atterrissage de Leh, construite il y a quelques années). Rude, le Zojila, pour tous les cyclos qui sont passés par là. En contrebas, néanmoins, les torrents ont leur accompagnement d'iris sauvages, d'edelweiss, de soldanelles. En toile de fond, les premiers sommets à 5000 mètres. |
Descente du Zojila. Le passage va devenir de plus en plus aride, et la route jouer aux montagnes russes le long du Dras, affluent de l'Indus qu'il rejoint dans la zone occupée par le Pakistan, au Nord. Il faudrait parler des petites bourgades avec leurs champs soignés, l'accueil des gens de Dras, le soir de la fête au village. La route est difficile, et il fait chaud jusqu'à Kargil. Kargil, gros village étape, marché animé. Attroupement indescriptible autour de nous quand nous demandons un peu d'huile - au marchand de cycles - Repas de midi avec du riz et quelques oeufs en omelette, arrosés de thé dans un minuscule restaurant. Long parcours jusqu'à Mulbekh, où les premières traces du bouddhisme apparaissent, ainsi que le premier monastère. Nous passons la nuit devant une grande statue de Bouddha, gravée au 16ème siècle dans un rocher. Eglantiers sauvages. Encore plus haut, avec le Namikala, à 3719 mètres. Col facile, aux formes lisses. En haut, comme par enchantement dans ce désert, apparaissent quelques enfants qui nous vendent de mauvaises turquoises. Nous leur faisons cadeau de biscuits qu'ils semblent apprécier. A Bodhkarbn, nous sommes vraiment au Tibet. Costumes, attitude des gens si différents du Cachemire. Je gagne, comme Patrice Bréhant, une mini-course à vélo, sans gloire compte tenu de la différence entre un Méral même chargé et l'invraisemblable engin indien de mon concurrent. Mais à 3300 mètres, le souffle manque vite... Toujours plus haut, le point culminant de la route, le Fotula (4094 m). Là, une avance prudente. Nos organismes non encore habitués à l'altitude. Le souffle court. Et quel moment au sommet, près des bannières de prière qui flottent au vent, moment du premier 4000, vieux rêve lié au mot mythique Himalaya. Plus bas, le site extraordinaire du monastère de Lamaguru, que nous visiterons au retour. Encore plus bas, après 9 paires de longs lacets, la sensationnelle vallée de l'Indus, et partout des sommets enneigés à 6000 mètres. Coloris et perspectives impossibles à rapporter dans une boîte photographique... Kalshi, Nurla et son accueillant hôtel du Ladakh - au confort plus que sommaire mais sans vie animale intempestive - La route est toujours splendide, enserrée dans les gorges de l'Indus bouillonnant et boueux. Le monastère de Rizdong, où on nous entraîne dans la grande cuisine où toute l'activité semble être de préparer continuellement ce thé ladadhi - salé et au beurre rance - qui constitue, avec l'alcool d'orge, la boisson commune. Le monastère d'Alchi, ses peintures du 12ème siècle admirables, mais pourquoi alors les recouvrir de badigeons frais, grâce à l'argent des visiteurs ? Basgo et sa forteresse fermée pour cause d'absence du lama unique du village. Nimu, au confluent de la vallée du Zanskar. Partout, une touchante gentillesse et compréhension. Au Nimula (vers 3500 mètres, au-dessus de la vallée), un temple sikh où s'arrêtent pieusement les camionneurs et les militaires. On nous fait visiter - ou plutôt on me fait visiter, en prêtant autant d'attention à Joëlle que si elle était transparente : vous avez dit religion misogyne ?... Enfin la longue descente vers Leh, les pics enneigés, les camps militaires soudain omniprésents. Leh loin du monde, au-dessus de sa forteresse à 9 étages, comme le "Potala" de la capitale tibétaine Lhassa. Leh qui garde la nostalgie de son passé de commerce millénaire : route de la soie, route des épices. Leh qui respire l'ambiance du Tibet éternel, découpé entre deux impérialismes, le Chinois et l'Indien. Nous avons là vainement tenté d'aller plus loin, au nord par un des plus hauts cols "routiers" du monde vers la vallée de la Nubra, au sud vers l'Himachal pradesh et Manali. Il faudra encore attendre que les militaires deviennent sages... Il restait à marcher, à visiter, à s'émouvoir. Il restait à revenir, le long de ces 432 kilomètres qui nous ramèneraient à Srinagar. Et à raconter que décidément il s'agit d'un merveilleux voyage. Philippe GIRAUDIN PARIS |