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Editorial

Revue N° 33 Page 01

Tout va vite.

Les voyages vont vite : avion, TGV, autoroute. On a limité les vitesses maximales pour freiner l'hécatombe routière, mais on n'en continue pas moins de créer des contournements, de doubler des voies, de percer des tunnels et lancer des viaducs pour mieux transporter les bouchons des grandes métropoles vers les plages et les montagnes.

Les nouvelles vont vite : c'est le règne du direct, de l'info en temps réel. Les journalistes n'ont pas toujours le temps de vérifier leurs sources, si bien que la rumeur s'insère parfois au milieu des informations confirmées, entre publicité mensongère et images manipulées. Toujours plus vite !
Le courrier est lent ? Peu importe, c'est un moyen de communication dépassé, par le fax d'abord : admirez au passage comme cette abréviation du quadrisyllabes " fac-similé " s'est imposé sans coup férir au classique télécopie. Par l'Internet ensuite : qui n'a pas sa boîte de courrier électronique, qui permet de recevoir quantité de messages plus ou moins sollicités et auxquels il est de bon ton de répondre dans l'heure ? Il faut bien consacrer à quelque chose tout le temps gagné à aller vite !

Le téléphone va vite : les postes fixes seront bientôt rangés au rayon des souvenirs, avec les bonnes histoires de Fernand Raynaud. L'heure est au portable qui permet de joindre votre correspondant en toute heure et en tout lieu. S'il a le mauvais goût d'éteindre son appareil, vous pouvez lui passer un message "texto", écrit en phonétique, ça va tellement plus vite ! Autre avantage non négligeable, le portable vous permet à votre insu d'apprendre des tas de choses sur la vie de votre voisin(e) de bureau, de compartiment ou de file d'attente. La plupart du temps toutefois, vous entendrez "Ne t'inquiète pas, chéri(e), j'arrive dans dix minutes". Plus la vie va vite, plus on est en retard, cela semble être une loi inéluctable.

Le sport va vite : dans toutes les disciplines où la performance se mesure au temps, les champions affolent les aiguilles du chronomètre. Progrès matériel et technique, plans d'entraînement, diététique, préparation physique et psychique des athlètes, tout concourt à cette recordite qu'enflamme la pharmacopée.

Le vélo va vite : ce pléonasme n'est pas pour surprendre quand il s'agit de compétition. Mais n'est-il pas paradoxal que l'apôtre du cyclotourisme ait choisi le surnom de Vélocio, symbole de vélocité ? Et que son souvenir soit attaché à une épreuve comme la "Flèche Vélocio" dont le nom évoque tout, sauf la contemplation. Comme si le tourisme à bicyclette nourrissait encore un complexe de lenteur vis-à-vis du tourisme motorisé.

Dans ce monde du vélo, assailli par les impératifs de vitesse que lui impose la société, un noyau de passionnés résiste à sa façon : leur terrain de prédilection est la montagne, là où les lois de la gravitation font que le vélo va le moins vite. Leur but est de franchir des cols à vélo, sans souci de performance chronométrique, chacun adaptant son rythme de montée à sa propre condition physique.
Leur objectif est d'en collectionner une centaine au moins, sans critère de temps ou de délai à respecter : ils s'inscrivent dans la durée et non dans l'éphémère.

Dans leur quête de nouveaux cols, ils n'hésitent pas à quitter parfois les voies goudronnées pour s'aventurer sur des pistes ou des sentiers où leur allure est plus proche du randonneur pédestre que de l'aigle des cimes. Afficher au compteur une vitesse à un seul chiffre ne les a jamais fait rougir !

Ce rythme lent et modéré leur permet de vivre intensément chaque montée de col, d'y être au plus près de la nature, de découvrir une foule de détails dans les paysages toujours changeants où ils portent leurs roues, d'observer la faune et la flore, de sentir les effluves de la végétation, d'entendre le bruit des ruisseaux diminuant au fur et à mesure de la montée, de deviner à un frémissement du vent ou à une éclaircie à travers les feuillages l'approche de l'échancrure du col.

Lorsqu'ils se rencontrent, les Cent Cols se saluent, et prennent le temps d'échanger impressions et anecdotes. Parfois ils déplient les cartes, et échafaudent de nouvelles escapades où se noueront de solides amitiés. Souvent c'est par un récit écrit que cet échange a lieu. Cette revue est la leur, la vôtre : c'est le lieu où se croisent une fois l'an les souvenirs des uns et les projets de randonnées de nombreux autres, c'est le lien entre des amis des cols et de la montagne qui ne sont pas retrouvés de visu depuis la saison précédente.

Même si nous avons recours pour la réaliser à la technologie du jour qui permet d'aller vite, il faut du temps pour la composer, l'équilibrer, la mettre en pages. C'est pourquoi je vous invite à découvrir lentement cette revue des Cent Cols, 33ème du nom, à la déguster page après page comme les plats d'un repas de fête, et à la parcourir petit à petit comme un montagnard trace son chemin pas à pas en s'élevant vers le sommet.

Claude Bénistrand

Président du Club des Cent Cols


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