Oui, j’ai trouvé un col ! C'est, peu banal direz-vous; mais pas n’importe quel col : un plus 2000 m et, qui plus est, sur le territoire français et entièrement revêtu ! Pour une découverte, c’est une découverte, non ? Les cheveux du Chauvot se dressent déjà sur la tête. Parti de Montdauphin pour un voyage itinérant de trois jours en solitaire, je résumais dans ma tête, tout en remontant la longue et magnifique vallée du Guil, les buts que je m’étais assignés pour ce parcours dans les Alpes du Sud. Tout d’abord, «pointer les BPF» de Saint-Véran, du col d’Allos, du col de la Cayolle et de Saint-Etienne de Tinée. Les cartes de contrôle étaient là, bien rangées dans la sacoche et je faisais maints pronostics tout en prenant de l’altitude, afin de mener à bien, dans les années à venir, cette 2ème série de brevets des provinces françaises débutée depuis deux ans. Par ailleurs, je voulais engranger quelques cols de plus de 2000 m pour combler le déficit que j’accusais dans mon relevé annuel pour ces cols d’altitude auprès de la «Confrérie des Cent Cols». Les grands classiques des Alpes : Cayolle, Izoard, Vars, Iseran, Bonette et autres Aravis, Saisies ou Dolomites étaient depuis longtemps enregistrés. Il ne me restait plus qu’à me rabattre sur les muletiers. Pas évidente cette idée car, avec Pégase mon fidèle coursier, rouler dans la caillasse n’est point chose aisée... Vous me direz qu’avec un «cheval ailé», qui plane et rêve là-haut près des Dieux du cyclotourisme (sic) dans son hélicon, rien n’est impossible ! Eh bien, vous vous trompez grandement : c’est «pédalus com jambis» sur les ¾ de leur parcours que j’ai dû les franchir. J’avais minutieusement sélectionné sur ma «Michelin» les muletiers les plus proches de mon itinéraire de base afin de limiter, autant que faire se peut, les poussages et portages. C’est ainsi que j’avais choisi le col des Estronques près de Saint-Véran, que j’ai abandonné suite aux renseignements très négatifs obtenus sur place, le col de la Petite Cayolle à 2642 m franchi très péniblement depuis le contrefort de la Cayolle et après un orage mémorable qui m’a surpris, fort heureusement près du refuge auberge, le col de la Moutière par la piste ouest s’étendant sur 11 km depuis le gîte de Bayasse, parcours praticable sur 50% à vélo de route dans un décor grandiose et minéral où les marmottes viennent vous manger dans la main ! Et enfin, le col de Colombart à 2539 m qui démarre du sommet de la Moutière et que j’ai franchi aller et retour avec Pégase sur le dos ! Mais au fait, avec mon bavardage, je ne vous ai point encore parlé de ma découverte «Eurêka» ? Donc, chemin faisant dans la vallée du Guil, j’ai déjà franchi la passe où se dresse le monument érigé en l’honneur des pionniers, réalisateurs de cette route mythique au travers des Alpes, laissé à ma gauche le célèbre Izoard escaladé par les champions cyclistes et où Coppi et Bobet ont écrit les plus belles pages de leur carrière, traversé Château-Queyras puis Ville-Vieille et j’attaque à présent les dures rampes. Plus question de réflexions, de projets, de rêves et d’imagination, il faut se concentrer sur la grimpée, doser son effort, passer la moulinette et atteindre tout là-haut, cachée derrière une grande dorsale alpestre le village de Saint-Véran, plus haut village d’Europe paraît-il, d’après les dépliants touristiques. Barrières routières fermées au droit du panneau Saint-Véran (c’est nouveau) et les voitures sont dirigées vers les parkings moyennant espèces sonnantes et trébuchantes ! Pégase se gausse de cet interdit et poursuit sa route à fort pourcentage pour atteindre les premières maisons. Me voici dans l’unique et étroite rue qui grimpe ! Les nombreux touristes s’écartent à mon passage et j’entends même quelques encouragements et félicitations qui fusent ici ou là. D’un coup de rein, me voici en haut du village tout surpris de ne pas avoir trouvé l’Office de Tourisme que je cherchais; forcément, à Saint-Véran le tampon quasi officiel de l’Office de Tourisme, c’est nettement mieux que celui de la boulangerie du coin. Pieds à terre, je suis un peu décontenancé, voire groggy par l’altitude et l’effort. Je reprends ma respiration et m’essuie copieusement le visage quand, tout à coup, j’entends : «Je parie que vous cherchez à faire tamponner votre carte de route !». |
Surprise instantanée de ma part, mais, c’est bien à moi que s’adresse ce brave homme, là au bord du chemin, la soixantaine passée, sec et bien vert, avec sa tenue de bon montagnard et son accent de Haute Provence. Je réplique : «effectivement, je voulais tamponner ma carte à l’Office de Tourisme et prendre en même temps quelques renseignements sur le col des Estronques». «Le col des Estronques ! Mais vous n’y pensez pas (coup d’œil sur ma monture), surtout avec ce genre de vélo ! Ah, parce que vous collectionnez les cols aussi ? Vos collègues ne montent pas très souvent jusqu’ici ; ils tamponnent au bas du village et repartent pressés, vers le fond de la vallée !». J’allais lui répondre que c’était excusable : l’effort, l’horaire, la famille, etc, mais, je n’en ai pas eu le temps, il reprend aussitôt : «un col ! Vous en avez un là, derrière vous !». Grand étonnement et incrédulité de ma part : malgré mon application, aurais-je mal consulté notre bible ? Il poursuit tout de go : «oui, là au droit de la croix ; c’est un col ; tout le monde ici le désigne sous le nom de col de la Croix et déjà, du temps de mon grand-père, lorsqu’il n’y avait aucune construction dans la descente qui s’amorce ici au sommet du village et qu’il n’existait qu’un sentier muletier du côté de l’avers. J’ai entendu mon aïeul parler souvent du col de la Croix de Saint-Véran». Effectivement, il y a une croix de fer forgé sur un socle en granit qui a remplacé en 1831 la vieille croix de bois au cours d’un pèlerinage mémorable. C’est l’évêque, d’après ce que j’apprends, qui est monté jusqu’ici pour la bénir ! Je fonce à l’Office de Tourisme que je n’avais pas vu sur ma gauche en montant. Je tamponne ma carte BPF et m’informe sur l’existence du col que je viens de découvrir après avoir narré ma rencontre impromptue. La préposée se met en quatre, fouille dans les dépliants, sort de son armoire de vieux documents et nous passons un long moment à la quête de l’introuvable : la croix de Saint-Véran est nettement indiquée sur d’anciens registres mais le mot col n’y est point associé ! Il faut voir à la Mairie, me dit-elle. J’ai tout de même appris que l’église toute proche est établie à la côte 2030 ; mon «col», compte tenu de la topographie des lieux, doit se trouver, foi d’ex-géomètre, à l’altitude de 2060 environ. Ce serait donc bien un plus de 2000 ! Je cours à la Mairie et j’expose à la secrétaire le but de ma visite. Je lis dans ses yeux qu’elle m’écoute par pure politesse. Je lui explique la confrérie des Cent Cols, son éthique, la chasse interminable mais, motivante dans les massifs montagneux, la motivation, l’effort, le plaisir de vaincre, voire de souffrir… J’ai du être convaincant car son visage très fermé à mon arrivée s’est subitement illuminé. Allais-je enfin solutionner le mystère ? Recherche en cours, elle m’a bien confirmé, étant native du village, les dires de mon premier interlocuteur : «tous les anciens du pays désignent le haut du village par le Col de la Croix de Saint-Véran». À partir de là, nous avons fouillé les archives anciennes de la commune, ouvert le cadastre actuel et celui d’avant rénovation, consulté dans la bibliothèque municipale des livres et revues concernant le village. Ses souvenirs revenant au cours des recherches, elle m’apprend que dans un récit de la vie de Saint-Véran, il serait fait allusion, dixit l’auteur, «au col du village…». D'où la croix implantée au sommet, et de la bénédiction de l’évêque quelques décennies plus tard. Mais, dans tout cela, rien de vraiment tangible ! L’heure tourne, mon gîte du soir est encore loin. Après de chaleureux remerciements, je sors de la Mairie, dépité. Oh, surprise, mon brave montagnard est là, il est venu aux nouvelles et m’explique qu’à 71 ans, cette histoire et notre rencontre meublent son après-midi. Il est bavard, curieux, mais au demeurant sympathique; il faut que je lui explique tout… Finalement, pour couper court à notre conversation et vu qu’il était resplendissant de santé, je lui propose de s’inscrire au «Cent Cols». Il m’a dit : «non» mais, si un jour il se ravise, vous avez, vous les édiles de notre confrérie, tout intérêt à inscrire son «col» en bonne place… Sinon, il serait capable d’intenter un procès à Monsieur Chauvot ! André Beccat CC 3360 |