Les "Cent Cols Plus"

Dans ce qui va suivre, je distinguerais deux catégories de "100 cols", membres de notre Club : les "100 cols" et les "100 cols plus". Bien entendu au féminin et au masculin. Nous faisons partie d'un club de confiance ; l'adhérent à qui ce club fait confiance, prend confiance en lui-même par un acte libre et renouvelé ; il n'attend son succès que de ses propres efforts. Un "100 cols" s'oblige à l'honnêteté. Les profiteurs n'y restent pas longtemps. Avant de poursuivre, je voudrais porter certaines précisions qui lèveront les ambiguïtés. Les êtres humains ne sont pas tous pareils "en fait". Repérer une différence n'est pas légitimer l'inégalité en soi. Après tout, le qualificatif dont j'ai affublé quelques "100 cols" d'exception n'évoque nullement des infériorités "intrinsèques" des uns par rapport aux autres. Admettre que les uns seraient plus méritants que les autres, serait humiliant et décourageant pour nous tous. Chacun fait de son mieux, je pense.

LA MOTIVATION
Il y a des mots qui font rêver et pour nous "100 cols" le mot Montagne est de ceux-là. Lorsqu'il nous traverse l'esprit, c'est comme si nos yeux s'amusaient sur les imposantes masses montagneuses, où pics et aiguilles hérissent les hauts sommets, reliés au reste du monde par des vallées profondes et par des cols comme autant de portes. C'est la magie sur laquelle s'est greffée une passion : la Bicyclette. Dans un monde que nous percevons comme déboussolé, nous nous insérons dans le rythme de la nature. Là, une grande paix nous envahit. Nous sommes donc des cyclistes de loisir, soucieux de notre bien-être.

L'ACTION
L'effort physique de l'être humain est supporté par la transformation de l'énergie chimique en énergie mécanique qui se manifeste par le mouvement. Toute activité physique porte l'organisme à un niveau énergétique supérieur à celui du repos. On peut donc définir quel est le niveau possible par comparaison entre individus pour avoir une idée des capacités de chacun. Élément fondamental de l'effort : la constitution physiologique qui joue un rôle capital. J'y reviendrai.

POURQUOI "100 COLS" ET "100 COLS PLUS" ?
(la deuxième appellation n'engage que moi)
Parmi les membres de notre Club, les diversités sont naturellement présentes. Chacun de nous possède son acquis génétique, ses concepts propres, ses méthodes, ses façons d'envisager la réalité, ses façons d'agir, qui ont forcément une répercussion sur la moisson de cols. Les 98,87 % des "100 cols" sont des cyclos, qui, à force d'entraînement et de sacrifices ont obtenu un score honorable et occupent une bonne place au tableau d'honneur. Il est certain que les cols comptabilisés à leur palmarés ne présentent qu'une partie des cols qu'ils ont pu escalader, si on prenait en compte les rééditions. Un exemple que je connais bien est édifiant : en 10 ans, j'ai franchi 2121 cols routiers dont 74 de plus de 2000 m, totalisant plus d'un million cinq cent mille mètres de dénivellation réelle, plus de 290 côtes entre 750 m et 2000 m d'altitude. Une stricte comptabilité en fait foi. Beaucoup de nouveaux venus auront le temps d'améliorer leur score. Les 1,13 % des membres restants, que je nomme "100 cols plus", ont été plus gâtés par dame nature ; elle les a dotés de qualités supérieures. Probablement une vitesse d'oxygénation très élevée, un système cardio-vasculaire exceptionnel et une morphologie de grimpeur. Ces qualités leur permettent de soutenir des efforts intenses sur une longue durée. Ils récupèrent mieux et vite, se fatiguent moins et supportent des charges plus importantes.

LES QUALITÉS D'UN "100 COLS"
Ce cyclo est en bonne santé, méthodique, courageux, tenace, obstiné. Il sait concilier sa vie privée et professionnelle avec son tempérament de collectionneur peu ordinaire. Il adore cette nature étrange qu'est le royaume des chamois, des bouquetins et des marmottes. Sa motivation est extrême. Rien ne le détourne d'un objectif qu'il s'est fixé. Il est nanti d'un bon caractère au service d'un moteur de bonne facture. Les cartes routières lui apprennent beaucoup ; les braquets : c'est sa science. Il se nourrit convenablement et connaît l'importance de l'eau. Enfin, il sait grouper le maximum de cols sur la plus petite distance. Il a une bonne capacité de récupération, une ressource jamais tarie à bien maîtriser la pente. Son mystère, c'est sa facilité à hisser sa carcasse au plus près des nuages, parfois au-dessus.

Il ne surestime pas sa force parce que la montagne s'est chargée de le rappeler à sa réalité personnelle; il a su s'y frotter pour en comprendre et en mesurer la difficulté. Il a su la vaincre pour en goûter le charme. Sa volonté farouche, sa combativité le poussent à se transcender, à ne rien sacrifier de sa personne sans quelques cols au bout de l'effort. Son honnêteté lui interdit de comptabiliser un col qu'il n'aurait pas franchi sur sa bécane. Son mot d'ordre est d'aller de l'avant. Chaque tour de roue l'exalte avec le souvenir des jouissances passées dans cette nature où flotte un air pur baigné d'arômes, d'essences légères que diffuse la sève et aussi l'odeur des champignons soulevant le tapis d'aiguilles.

Dans la majesté du levant, il aime les routes en lacets qui serpentent entre les bois, les prairies, qui l'élèvent dans les espaces d'altitudes où la forêt ne pousse plus, où les pâturages dénudés dégagent une étrange fascination. Il adore cette nature qui l'entoure avec ses aridités, ses caprices, ses ravins, ses gorges, ses torrents, ses palettes de paysages sauvages. Jamais, la beauté des lieux ne le lasse. Quand il a écumé une région, il s'en va ailleurs chercher les raisons d'être heureux, de réchauffer en lui la fierté dans la lutte avec cette montagne.

LE "100 COLS PLUS"
Il a les mêmes qualités que le "100 cols", mais ses capacités physiques sont, comme je l'ai déjà écrit, certainement supérieures. Je ne tiens pas ici, à idéaliser l'être d'exception tel que je voudrais qu'il fût. L'envie me vient, tout simplement, de le décrire tel qu'il me semble le connaître pour l'avoir fréquenté. Comment expliquer ses performances? Qu'est-ce qui le pousse à gravir des centaines de cols et ce, pendant des années? Où puise-t-il sa motivation? Besoin physique sans doute! Besoin de s'affirmer, recherche d'une compensation sûrement! Chaque individu possède sa part de motivation. Ce que je crois savoir, c'est qu'il est ambitieux, qu'il a soif de succès, qu'il manifeste un caractère dominateur. En tous les cas, il sait exprimer les atouts que la nature lui a légués. La récolte de cols est devenue une "manie" chez lui. Il ne s'agit pas là, d'une folie, mais simplement d'un besoin de se sentir riche d'une moisson qui est étrangère à d'autres. Rien ne pourra l'empêcher d'être une individualité et de se passionner pour son œuvre. Car, collectionner des milliers de cols, c'est faire "quelque chose d'autre", que tout le monde ne peut pas faire. Une œuvre vous dis-je !

Vous pourriez m'objecter que je compare les grandes choses aux petites. Il n'y a pas de grandes et de petites choses : il n'y a que l'emploi des forces physiques et morales de la femme ou de l'homme et beaucoup de problèmes résolus dans tous les sens.

Saint Exupéry a écrit : "la vérité pour l'homme, c'est ce qui fait de lui un homme". Sur ma lancée, je me permets de vous dévoiler ma devise : "garde-toi de démolir ce que tu n'as pas su construire" (ne seraient-ce que des taupinières).

Théodore BUIZZA N°3912

de TOUL (Meurthe et Moselle)