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A la chasse aux cols, du Belledonne au Haut Atlas

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Elles n'étaient pas bien nombreuses, les montures harnachées pour un périple au long cours par cols et vaux entre Romanche et Grésivaudan. Sans doute les trombes d'eau déversées pendant la nuit précédente avaient découragé les amateurs de cyclo-camping.

Pour les trois méridionaux qui s'étaient donné rendez-vous au pied du Luitel ce 11 juillet, et comptaient rejoindre un impressionnant peloton, la nuit avait été des plus mouvementées. Train de nuit pour Jean-Michel Clausse. Gîte sommaire à Corps pour Henri Chanlon, où l'orage n'avait laissé qu'un lavoir en guise d'abri. Pour ma part, découverte in extremis d'une cabane de jardin pas trop humide au-dessus de Saint-Barthélemy de Séchilienne. Les grandes eaux ont donné toute la nuit. Au petit matin blême, le plafond nuageux se hisse péniblement à quelques centaines de mètres au-dessus de Séchilienne.

Des fringants coursiers, il n'en manque pas au pied du Luitel, où on met un visage, une physionomie, sur des noms maintes fois relevés dans la revue.

Les sacoches sont, dans leur majorité, minuscules. Devant tant de montures dépouillées, nous ne pouvons faire moins que de confier à un ami motorisé nos encombrants bagages. Je conserve néanmoins mon sac de guidon, mais qui est en fait un sac à dos quand on lui libère les bretelles. Ne craignez pas pour le porte-bagages avant, il supporte allègrement 15 kg de charge ! C'est donc l'occasion de me débarrasser du matériel de couchage, fixé aux piquets de tente articulés sur les haubans de selles, piquets qui font office de porte-bagages arrière. Le tout étant affublé de multiples sandows et, quand le temps s'y prête, d'une pyramide de vêtements, sans oublier la part de ravitaillement qui n'a pas pu caser dans le sac avant.

Voilà de quoi faire sourire nombre de puristes, adeptes du CX minimum. C'est le prix à payer pour une autonomie de plusieurs jours. Allez comprendre! Plus le vélo est chargé, plus les étapes peuvent se prolonger tard dans la soirée, au gré de la recherche d'un gîte avec, luxe suprême, les pieds au sec et la vue sur les étoiles.

Avec le cyclo-camping, nos randonnées ont peu de points communs. Ni camping, car à l'approche de la nuit, nous rechercherons abri, cabane ou grange, ne gardant la toile de tente qu'en cas de pénurie de gîte, ou risque de pluie ou de rosée excluant la nuit à la belle étoile. Ni cyclo, car notre quête effrénée de cols muletiers nous mène dans des endroits peu recommandables où, soit la bicyclette porte le bagage, servant en quelque sorte de brouette, soit on met le sac sur le dos si le chemin se dégrade, en allant jusqu'à y ajouter un vélo sur l'épaule en absence du sentier. Certains cols bien raides et amidonnés, peuvent en témoigner, pas très loin du Luitel, où, précisément, il pleut, et où manque, outre le soleil, mon ami Michel Perrodin. A chacun son maître des cols !

C'est un cyclo du club IBM, Philippe Meyer, qui m'a fait connaître la confrérie en 1975. Les routes et sentiers des Alpes-Maritimes ont fait le reste. Depuis, Philippe a rejoint la région bordelaise, et chasse les provinces, plus adaptée que les cols à son tricycle.

Grâce à ma bique de montagne, appellation de Michel Perrodin, je n'ignore aucun fond de vallée des Alpes du Sud, poussant le vice jusqu'à collectionner les monts sur une liste à part, ou emprunter des sentiers ne franchissant aucun col.

Pas de raisons profondes pour un tel engouement, ni d'esprit de conquête, ô combien dérisoires! A la question 'Pourquoi?', j'aime assez répondre 'Pourquoi pas!' Pourquoi se priver de randonnées mixtes, dès lors qu'il suffit de bien peu de choses (une paire de chaussures, une paire de roues et un sac suffisamment garni pour gîter n'importe où), pour cyclo-vagabonder en toute autonomie.

Pour qui aime randonner, la chasse aux passages d'altitude semble de plus naturelle, et j'apprécie qu'à la randonnée, on associe la notion de hasard et d'errance, entretenue par l'incertitude sur le gîte et le manque d'information sur bon nombre de passages où on peut s'attendre à en baver pendant des heures, voire rebrousser chemin pour cause de manque de sentier ou de végétation envahissante.

La chasse aux cols mène aux endroits les plus inattendus pour le commun des cyclos. Il faut avoir le pied un tantinet montagnard pour traverser le Col du Gioberney (sentier raviné et rochers faciles versant sud, glacier versant nord), ou se hasarder dans la Via Ferrata des Dolomites, entre deux forcella. Un brin de folie aussi n'est pas de trop, car bien des chemins de haute montagne ne tolèrent pas un seul faux pas, et l'attrait des glaciers ne doit pas faire oublier les sournoises crevasses.

Ayant goûté aux cols rocheux et glaciaires européens, il ne manque à l'appel que les cols exotiques. Point n'est besoin de partir pour les antipodes, aux Andes ou en Himalaya. Bien plus prés de chez nous, à trois heures de vol, l'Atlas marocain offre un dépaysement total.

Le Maroc, c'est une vieille connaissance, où la première expédition, en mai 1976, s'est enlisée dans les fondrières de la piste d'Imilchil, pour, par force, rebrousser chemin et se limiter au versant saharien de l'Atlas.

Plus de réussite en mai 88, avec Henri Chalon et Michel Perrodin, avec quantité de traversées muletières (les vraies, celles où l'on côtoie les mulets), jusqu'à une altitude de 3200 mètres. Dans le Haut Atlas, la région du Toubkal reste enneigée à cette époque, et il a fallu ranger de loin les cimes à 4000 mètres. Troisième tentative en 92. Henri Chalon était de nouveau de la partie, avec Francis Touzeau, de la région toulousaine, et on allait voir ce qu'on allait voir, car en septembre, il ne doit plus rester beaucoup de neige dans le haut Atlas.
Lesté d'une réserve de provisions de six jours, nous voici, 24 heures après l'arrivée à l'aéroport de Marrakech, au refuge du Tubkal, à 3300 mètres. C'est le royaume des mulets. La plus proche piste carrossable est à six heures de marche au nord, et à plus d'une journée au sud. Il est 10 heures. Il reste quelques traces de l'orage de grêle de la veille sur les sommets, mais on nous assure le beau temps pour la journée.

Impressionnés par toutes les légendes associées au djebel Tubkal, Francis et moi confions nos montures au gardien du refuge, voulant par-là ménager la susceptibilité des Génies du Tubkal, et rendre un hommage, bien modeste, en simple randonneur pédestre. Quant à Henri, peu au fait des coutumes locales, le voici déjà le vélo en bandoulière sur le sentier abrupt (mulet s'abstenir), en quête du Tizi n'Tubkal à 4010 mètres et du sommet à 4165 mètres. Nous y parviendrons trois heures plus tard, mais seul Henri pourra faire figurer le tizi (col) sur la liste.

Pour varier les plaisirs, nous redescendons par un autre vallon, aux éboulis tout aussi exécrables, pour visiter au passage un tizi plus modeste (3950m), et rejoindre le refuge, où nous sommes contraints de passer la nuit, car ni camping, ni même bivouac, ne sont autorisés plus haut (sic). Nous avons ainsi échappé à un vent violent et glacial, qui, le lendemain, nous a fait oublier qu'on était en terre d'Afrique.

La bande à trois se retrouve avec trois vélos allégés des sacs, laissés à une croisée de chemin, au Tizi n'Ouagane, à 3750 mètres, à l'amorce d'une longue vallée descendant vers le sud, pour les tizi franchis en mai 88. Cet aller (qui laisse prévoir un retour), n'est qu'une étape vers l'objectif, un double sommet, Ras n'Ouanoukrim, à 4065 mètres et Timesguida, à 4085 mètres, entre lesquels un guide de ski place un col donné à 3975 mètres, et sur lesquels, Allah nous préserve, aucune légende n'a trait.

Par des rochers plus ou moins escarpés, puis un grand plateau rocheux, nous voici, les trois au complet, au premier sommet, en vue du col qui ne semble guère éloigné en altitude.

A l'aide de relevés altimètriques établis à partir des deux sommets, plus aucun doute n'est permis, ce tizi est bien à 4000 mètres et figurera en bonne place sur nos listes, notamment celle de Francis, qui le même jour franchit son premier 3000 et son premier 4000.

Loin de nous l'idée de demander à René Poty, l'homologation de ce tizi visité par trois cyclos français, faute de disposer de cartes aussi précises que celles dont nous disposons en France. Après avoir retrouvé nos sacs, il reste à franchir le Tizi n'Ouanoums à 3664 mètres, bien raide pour les vélos chargés et guère fréquenté par les mulets, si on en juge par l'absence de crottin, habituellement très polluant sur les chemins marocains.

Longue sera la descente sur le lac d'Ifni (un lac sous la pluie, double rareté sur le versant sud du Haut Atlas), lac qu'on atteindra le lendemain matin, et longues seront les trois journées qui nous mèneront jusqu'à la vallée de l'Ourika, après une belle brochette de cols entre 3100 et 3600 mètres, gîtant soit chez l'habitant soit à la belle étoile, découvrant les multiples vallées-oasis du Haut Atlas, où seules les terrasses irriguées bordées de noyers centenaires, échappent à l'emprise de la rocaille omniprésente.

Puis, par le tizi n'Tichka (routier celui-là) et les gorges du Dadés aux pistes ardues, nous rejoindrons la vallée d'Imilchil préparant son 'moussem des fiancés', fête rassemblant des milliers de marocains, qui, en caravane de mulets, ou par camions entiers, envahissant la vallée, sans oublier les troupeaux de moutons, qui, eux auront droit à un aller simple. Pour nous échapper de l'Atlas central, il nous reste plus d'une journée de pistes où les cailloux sont enrobés par une épaisse couche de poussière qui dessèche aussi bien les gosiers que les mécaniques.

Les hasards de l'arithmétique des cols ont fait coïncider le 4000ème col de ma liste avec un obscur col marocain, un des rares goudronnés de notre périple. Seule une chasse forcenée dans les Alpes l'été précédent aurait pu placer le tizi à 4000 mètres au 4000ème rang ! L'idée m'a effleuré, et sonnait bien à la une de la liste de cols. Raccourci facile, où je préfère ne pas me laisser piéger. J'espère bien un jour franchir le 5000ème, sans aller jusqu'au bout du monde, dénicher un col à 5000 mètres. S'il y a des cols de basse altitude, il n'y a pas de petits cols.

A présent, je poursuis ma quête de cols dans notre vieille Europe, convaincu qu'il existe assez de cols pour remplir plusieurs existences de cyclo-randonneurs.

Par ailleurs, tout 'ancien' col franchi par un versant différent, ou en d'autres saisons, ou plusieurs années auparavant, procure autant de satisfactions qu'un nouveau col dans la découverte de la montagne.

Longue vie aux Cent Cols qui nous conduisent à explorer ce merveilleux domaine !

Michel VERHAEGHE (Notre grand maître) N°204

Vence (Alpes Maritimes)


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