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La Glacière : col interdit

Revue N° 21 Page 30

Je dois l'avouer, je suis un chasseur impénitent qui, au lieu de faire parler la poudre, s'évertue à faire parler le "tiroir caisse", celui qui comptabilise nos chers cols ! Après avoir lu l'intéressant article de Paul André, paru dans la revue 'Cent Cols' n° l6, je rêvais d'aller moi aussi poser mes pneus en ce lieu magique. Profitant de mon passage à Gréoux-les-Bains pour le rendez-vous de Pâques en Provence 1992, j'ai illico estimé qu'il était temps d'aller concrétiser cette énorme envie.

Je concoctai donc un circuit de 172 kilomètres passant par les Gorges du Verdon et comptant 8 cols dont celui de la fameuse Glacière, de surcroît le plus haut col du Var avec ses 1070 mètres.

Le col du Collet franchi, il ne me restait plus que 3 kilomètres pour atteindre le hameau de Broves et trouver la route menant au passage obligé, situé en plein camp de Canjuers, que personne ne m'obligeait, du reste, à emprunter.

Surtout pas l'armée, propriétaire des lieux, qui entendait bien dissuader les éventuels candidats 'au suicide" en multipliant les interdictions de s'aventurer dans le périmètre.

Mais il est bien connu (depuis mai 68) qu'interdire est interdit ; surtout quand, en plus, un panneau "Col de la Glacière" planté bien en vue au bord de la départementale vous indique la voie à suivre. Assurément un pousse-au-crime, un véritable défi lancé par les autorités qu'un hardi (ou inconscient) cyclo se devait de relever ! Aussitôt pensé, aussitôt exécuté !

Je bifurquai sur ma gauche vers un large chemin blanc caillouteux et, je le vis par la suite, réservé aux chars et autres mastodontes. Quelques temps à découvert, je commençais tout de même à gamberger, me disant que peut-être les militaires basés dans les villages me suivaient à la jumelle et allaient m'intercepter d'ici peu et que si un AMX survenait abrupto, comment réagirais-je, sachant qu'avec le vent plutôt fort qui soufflait alors dans la montagne de Malay, je ne pourrais repérer le bruit de son moteur qu'au dernier moment.
J'entrevoyais déjà des chemins de repli dans la végétation arbustive environnante qui protégeait maintenant ma progression.

Des frissons me parcouraient l'échine et je dois confesser que je ne me sentais pas très à l'aise dans cet univers où je côtoyais des carcasses de voitures, des masures ruinées et des obus oubliés au bord du chemin (désamorcés semblait-il). Un couple de perdrix s'envola brusquement devant moi et me rassura quelque peu. Il y avait quand même de la vie dans ce milieu hostile.

J'arrivai enfin au col sans avoir rencontré âme qui vive. J'y stationnai juste le temps de photographier un monument dédié à la mémoire de maquisards puis, j'obliquai sur ma gauche pour prendre une petite route goudronnée interdite "aux engins chenillés", et qui, je m'en doutais, allait immanquablement me ramener vers Broves et bien sûr le poste de garde établi en ces lieux. C'est donc avec circonspection et en évitant de faire crisser mes freins que j'abordai la forte déclivité à l'entrée du village. Pour l'instant personne en vue aux abords des premières maisons; juste du matériel militaire entreposé ça et là.

Je m'arrêtai près de l'église afin de faire quelques clichés de ce hameau fantôme qui, en perdant ses habitants avait perdu son âme. Je voulus ensuite visiter un peu plus le site lorsque je vis soudain au bout de la rue principale un soldat se diriger vers moi.

Mon sang ne fit qu'un tour et je m'empressai de remonter à bicyclette pour détaler par un sentier menant à la départementale proche. Celle-ci atteinte, je fus subitement comme délivré d'une trop forte pression et, tandis que je me hâtais vers d'autres cols je me sentis heureux comme un gosse qui aurait chipé des friandises au nez et à la barbe du marchand !

Jean-Jacques LAFFITTE n°604

AC Niort (Deux-Sèvres)


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