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Quelques cols peu recherchés

Revue N° 21 Page 22

Deux kilomètres après la gare de Veynes, on entre dans le monde du silence. De petits vélos suggèrent d'aimables parcours entre Durance et Buëch. L'un d'eux vous envoie au col des Verniers, raide et courte grimpette ouverte sur le ciel et dans les schistes de la montagne d'Oule. On passe au Saix, départ d'une jolie traversée sur Esparron. A Savoumon, l'amateur d'insolite préférera le Pas de Jubéo au col de Faye. Il y fait très chaud ce jour de Mai. J'avais, jadis, rejoint Saint-Genis, par un curieux tunnel et un vestige de pont métallique théâtre d'un solitaire numéro d'équilibriste. Le relief était confus. Il l'est encore, mais cette fois, je le trouve, ce col du Colombier, en contrebas après une longue grimpée dans les cailloux. Un chemin en part, vers d'autres cols, à l'issue incertaine. Le sentier de descente dégénère vite, oublié des hommes. Il y a même du portage, laborieux et délicat, mais une curiosité: des troncs en cours de pétrification, appuyés contre une paroi ruisselante. Au Lauza, je croyais être à Faye, mais qu'importe, la route est là...

Plus que ruines, au col de Blaux, m'a-t-on dit à la Curnerie. Ce n'était que trop vrai. J'y voulais dormir, mais suis passé sans ralentir le pas. Un Vététiste costaud serait peut-être monté à vélo... Au col proprement dit, un sentier bien marqué plonge dans le thalweg, mais vite encombré d'arbres abattus par les orages et que nul n'enlèvera. A louvoyer dans ce fouillis, passe le peu de jour qui reste. Je finis par comprendre que ce petit replat herbeux devra me servir le couche. Premier bivouac de la saison sous les étoiles. La poésie du lieu m'échappe et le sommeil me fuit...

Et dire que j'étais à 300 mètres du chemin descendant au Caire, le sentier y débouche discrètement. Pas étonnant que, il y a 4 ans je ne l'ai pas trouvé. L'énigme est résolue qui ne méritait guère de l'être.

Le Caire, la Motte, ont des monuments aux morts hors du commun, Bayons, une très belle église, hélas fermée, comme l'est le refuge forestier au bout de la route forestière des Combes humide et fort pentue. En part un sentier horizontal, mais très précaire, dans de vertigineuses ravines. Je juge même prudent, de transporter alternativement et en plusieurs fois le sac et le vélo. Et c'est ainsi qu'on accède au "boulevard" qui court sur la crête de Mélèzes, entre 1500 et 1600 mètres. J'ai décroché trop vite pour trouver la station de Chabanon. Mais le chemin qui dévale sur Sélonnet est cyclable pour mes 650 ( made in Indonésia ). J'aimerais savoir quelque chose sur cet étrange campanile cylindrique de Sélonnet.

Passée la Javie, la route de Draix domine de beaux ravinements qu'un peu de verdure protège d'un lessivage total. Après le village, le pointillé continue à s'appeler sans vergogne : D22. C'est en fait un large chemin couvert de cailloux et, plus haut, semé d'éboulis, qu'on enlève peut-être une fois l'an. Deux hommes m'ont affirmé que, près du col, était une maison de berger ouverte et inoccupée. C'était vrai également. J'y ai même trouvé matelas , table et chaises. Le "Carlton" quoi ! J'ai doublé le pas car le temps filait, mais maintenant l'heure est douce, le pâté a un goût de foie gras, comme était triste la sardine d'hier soir..
La D22 vient mourir dans l'alpage encore désert du col de la Sine. Sur l'autre versant, l'oued et les genêts achèvent de gommer ce qu'il en reste. La forêt est derrière moi. Le bon sens commandait de plonger droit sur Tartonne, mais je n'aurais pas passé le col du Diable, pas si infernal, même dans le ravin des Gypières. J'y ai trouvé une trace de roue de moto...

Laval, haut lieu de la Résistance, dernier lacet du col du Défend, avant de dévaler sur le libre-service de Barrême. Petit arrêt à Senez, sans doute chef-lieu du plus petit canton de France et ancien Evêché ce qui laisse rêveur. Un des derniers titulaires réfractaire à la bulle Unigentus, alla finir ses jours à La Chaise Dieu où le climat est moins bon. La petite cathédrale, immense pour ce minuscule village, recèle de belles choses mais montre elle aussi visage de bois. Ainsi l'ont voulu les pilleurs de trésors... Après, jusqu'à Blieux la nature dispense ses derniers sourires.

Au Bas Chaudoul, je rechausse les pataugas, sans illusions : la piste démarre roidement, dans un paysage très minéral. Il faudra pousser plus d'une fois dans les cailloux. Bon, si on n'aimait pas on ne serait pas là. Et puis, qu'on se le dise, à mi-parcours (Blieux-Majastres 13 km), il y a un col, non répertorié mais signalé par un joli panneau qui a nom Reibert 1464 m. Dans la descente, au loin, dans cet univers chauve, le Poil a renoncé à Vivre. Majastres, le bled perdu par excellence, eut une école, et demeure une oasis quasi unique dans ce désert cerné par les Asses et le Verdon. Ce pays de pierres, que je traverse pour la troisième fois- et je suis loin de le reconnaître vraiment- je l'aime. Venant de Rougon, de La Palud ou de Blieux, vous referez sans hâte comme moi, ce retour vers la vallée. Le soir, au gîte d'étape de Thoard, 'seulet, je suy, seulet ne voudrais estre' mais qu'y faire ?

On a regroupé en commune, sous le nom de Haute Duyes-Les Hautes Sources les fermes qui survivent, mais au dernier village, un panneau rappelle encore un ancien nom : 'Auribeau'. Puis la route devient chemin qui monte au col d'Ainac. Un artiste anonyme a fait d'un petit arbre mort, un bonhomme ithyphallique et couillu qu'épargnera la hache de la vertu offensée. Du col, une sente de plus en plus incertaine descend sur Ainac et Lambert, qui eurent aussi un maire dans un passé lointain. D'heureux retraités m'offrent à boire frais. J'apprécie avant de reprendre, 21 ans après, le sentier du col Saint-Antoine, encore très praticable quoi qu'ils m'en aient dit. Le reste est facile. Un peu de vie saisonnière, semble demeurer à Feissal, autrefois Fiscal, car domaine d'Eglise, de "Fiscus", le panier qui servait à collecter l'impôt. Ce qui reste à tondre peut être laissé aux moutons... En 1971, n'était qu'un tronc d'arbre sur le Vançon bouillonnant, le pont antique s'étant écroulé. Nous étions deux, point trop fiers là dessus...

La route de Sisteron est chargée d'histoire antique: Rocher de Dromon, Chardavon, la Pierre Ecrite, relisez votre Guide Bleu Provence. Mais je ne m'attarde pas: à l'exemple de Paul Curtet dont les récits nous charmaient naguère et que je n'ai pas connu, je vais gagner mon logis par le train qui me déposa voilà quatre jours. Ce petit train Grenoble-Veynes à qui il faut souhaiter longue vie, face aux démons de la rentabilité et de l'autoroute future..

Marcel BIOUD

Coublevie (Isère)


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