Le 4 août 1990 voit à Saint-Gaudens, une animation encore plus importante qu'à l'habitude. A la ronde des voitures se mêlent aujourd'hui les cyclos du BCMF. La capitale des Comminges s'est faite toute belle pour nous : un ciel d'un bleu d'azur colore le fond de l'horizon où s'assoit la chaîne des Pyrénées, massive et imposante. Notre œil exercé devine ici ou là quelques cols à l'aspect verdoyant. La Maison de la Culture est ce matin à la disposition des cyclos et des randonneurs Saint-Gaudinois. Un alignement impressionnant de tables manifeste le sérieux de l'organisation. La fébrilité du secrétariat est le gage d'un dévouement actif : une fois encore, ami cyclo, tu peux être certain qu'on va se mettre en quatre pour te servir. Le départ s'effectue dans la bonne humeur et nous pédalons tranquillement jusqu'à Aspet. La route suit le Gers s'élevant gentiment et nous nous engageons dans le Col de Menté. Il fait très chaud, la sueur perle et suit la visière de la casquette d'où elle goutte peu à peu sur le cadre ; puis elle descend subrepticement les rides de mon front, s'infiltre petit à petit dans les sourcils : il est temps d'intervenir, les gants font office d'éponge. Mais un kilomètre plus loin les voilà imbibés et inutiles. Une goutte fait son chemin, elle suit adroitement la courbe de l'orbe oculaire et paf ! Ca y est, la voilà qui élit domicile dans mon œil. Son tracé devient ruisseau et me voilà aiguillonné par les picotements de la sudation dans les yeux, les deux, car bien sûr ce qui s'est produit à droite se répète à gauche. Je me secoue la tête comme sait le faire un chien mouillé sur une plage pour le plus grand plaisir des baigneurs qui l'entourent. Avec une telle élimination, il y a belle lurette que mon bidon sonne le creux. C'est alors que j'avise, quatre lacets plus haut, la flèche d'un clocher entouré d'un mur relativement long. Je te parie mon maillot trempé contre ta casquette sèche qu'il y a là un cimetière ! Et alors ? Me diras-tu. Alors ? Et bien qui dit cimetière dit robinet et qui dit robinet ! Me voilà stimulé et les lacets sont dénoués par la force de la soif. Stoppez la machine ! Il y a déjà du monde, je dépose délicatement ma bécane et entre là où deux cyclos ont déjà eu la même idée que moi. Le village s'appelle Soulan, il s'agit justement d'en prendre tout notre saoul, plein l'estomac, à petites gorgées, pour apprécier et par prudence, avec cela un coup sur la figure pour la sueur, le plein du bidon, et le rinçage de la casquette ! Voilà le programme que je me suis formulé en grimpant les lacets. C'est alors que je vois le visage piteux des copains se tourner vers moi, ils ont beau tourner le robinet, rien ne vient, quelle déception ! Il n'y a plus qu'à avaler ce qui nous reste de la salive et à pédaler. Heureusement, un peu plus haut une voiture de braves gens installés à faire une sieste me permet de faire le plein, sinon c'était la crampe garantie et assurée pour dans pas longtemps. Ce Col de Menté, je vais te dire, et bien il monte, il y a un lacet là, que je vois, qui s'élève sérieux : allez on appuie en douceur, on le prend par l'extérieur sans dépasser l'axe médian de la route et hop! Me voilà au palier supérieur. Moi, quand je monte, j'aime les routes à lacets, parce que je m'encourage en regardant plus bas. J'y vois concrètement mon élévation. De plus je peux m'imprégner du paysage sous des angles variés et en apprécier tous les aspects. Dernier lacet avant le haut, quel coup d'œil magnifique ! C'est le sommet: tampon, boisson, discussion avec les gars de l'organisation "dur, dur, mais quel beau col, et puis cette chaleur" ! Enfin, en route pour la descente, ça va mieux. Les lacets virent courts et secs, il s'agit de faire corps avec le vélo, de ne pas se laisser emporter; là le vélo devient pilotage et la sensation de griserie est extraordinaire. Un salut à Saint-Béat et en route pour l'Espagne, les douaniers me gratifient d'un sourire et me font signe de passer, je n'ai même pas à m'arrêter. Il fait toujours soif et à Lésje m'arrête dans un "restaurante" où je commande un diabolo-menthe dans une chope de 50cl. J'avale ce délice à "gorge-mouille-que-veux-tu". Ça c'est une soif les gars, j'ai bien éclusé quatre litres depuis le départ et, avec ça, même pas besoin de faire des arrêts hygiéniques, mon taux de cholestérol doit faire une plongée digne d'un parachutiste ! A Bossost, l'accueil hispano-français au contrôle, a lieu sous les frondaisons de la Garonne au cours torrentueux, j'apprécie la citronnade, fais le plein du bidon et attaque avec détermination le Col du Portillon. Ses 8 km gentils et réguliers me permettent de jouir d'une superbe vue sur le Val d Aran. La descente sur Luchon s'effectue avec prudence car la circulation est assez importante. Je traverse la ville d'eau, neutralisation du circuit pour la catégorie touriste et retrouve mon épouse et notre caravane où m'attendent boissons (eh oui ! Encore) douche, restauration et repos. Le lendemain, les premières rampes du Col de Peyresourde se chargent d'effectuer rapidement notre échauffement. Dés le deuxième lacet, la machine tourne rond. La route, large, dont le revêtement a souffert de la chaleur de la veille, rampe le long du massif. Trébons, Saint-Aventin, Castillon, Garin, Cazeau ponctuent notre progression. Nous avons admiré sur notre gauche les Vallées du Lys et de la Neste d'Oô. Non loin, devant, les derniers kilomètres du col. Je passe à la hauteur de Pierre Roque qui pédale souple en discutant avec quelques admirateurs de sa dernière publication "Les Cyclotouristes" qui, non seulement fait le tour des cyclos, mais des copains de bureau de ces derniers. C'est la meilleure récompense, souligne l'auteur. Je le crois volontiers et ce n'est pas sans émotion que je pédale quelques kilomètres, derrière, anonymement, mais en leur compagnie. Le sommet atteint, un magnifique point de vue s'offre sur la Vallée de Louron, ensuite la descente nous fait atteindre le ravitaillement de Bordères. Il fait encore frais et je ne m'attarde guère pour échapper à la chaleur. Les organisateurs ont pris soin de nous: une montée pittoresque, ombragée, mais raide, nous entraîne dans une série de petits hameaux typiques de la région. Finalement, nous atteignons Guchen, qui nous ouvre les portes de la Hourquette d'Ancizan. La route monte dans une gorge hardie. Le paysage, à la foi boisée et rocailleux invite à la rêverie. Il fait bon rouler. Le torrent du Lavendan s'amuse sur les pierres de son lit, sautant de l'une à l'autre, nous jouant son éternel concerto pour violoncelle, en une gravité sauvage, en accord avec cette nature farouche. |
Nous le traversons et la route monte à l'assaut du massif de la Hourquette. Haut, très haut, on aperçoit le lacet qui entaille la roche dans une gigantesque courbe comme un tentacule soudé à sa proie. Sur notre droite s'amenuisent les maisons de Guichen et d'Ancizan. La Vallée d'Aure étend son tapis vert, sillonné, en son centre, par la Neste tandis que les alignements des peupliers dessinent géométriquement les pâtures de ses rives. Calme, solitude, hardiesse, beauté sont les lots de nos efforts. Après une rude montée, au passage d'un torrent cascade, nous revenons sur la Vallée d'Aure et sommes dans la courbe aperçue plus bas. La roche argileuse joue l'effet d'un capteur solaire, il est heureux qu'il ne soit pas midi ! Plus nous montons, plus le paysage est pittoresque. Col magnifique, suffisamment dur, il nous offre un paysage varié, nous fait rêver à un autre âge pour nous emmener aux massifs du Néouvielle et de l'Arbizon : panorama inoubliable. Au sommet de la Hourquette d'Ancizan, ce col, Aux multiples facettes, te tient par le licol. En face du Néouvielle et du grand Arbizon, Là, admire ces sommets aux cols de bisons Mais, de cette Hourquette, retiens bien, la leçon. La force tranquille, la pédalée régulière, T'ont fait atteindre inflexible et sans rémission Le sommet rêvé dont, cyclo, tu seras fier ! J'effectue la descente doucement je préfère sacrifier le plaisir de la griserie au profit de la contemplation du paysage dont je veux m'imprégner. De nombreux ruisseaux tracent leur sillage au milieu de la prairie, encadrée d'une futaie magnifique. Ce paysage est un joyau producteur d'air pur, de charme, de paix. Depuis le début de la saison, j'en ai vu des panoramas, tous plus beaux les uns que les autres, mais ce dont je suis certain, c'est que celui-ci restera ineffaçablement gravé en ma mémoire. Il sera une image, un recours propre à me mettre dans un état interne vivifiant au moment des cous de cafard. Je te livre la recette : quand ça va mal, quand tu broies du sombre, quand le temps est mauvais, quand ça cafarde sévère, pense à ce que tu as vu de beau à vélo, et tu verras tes horizons se dégager; ton humeur changer, ton sourire revenir, ton dynamisme déborder. Au bord du lac Payolle, pièce d'argent incrustée dans le vert des pâtures, les amis cyclos ont installé leur contrôle. Il y a tout qu'il faut: le ravitaillement, la joie, la bonne humeur. Comment pourrait-il en être autrement dans cette nature? Après quelques subsides, c'est reparti pour le Beyerde. Dés les premières pédalées, tu as compris, tout à gauche, 3Ox24 la pente est telle que si tu tires sur ton guidon, tu pars en roue arrière, tu imagines le raidillon ! Alors il s'agit de trouver la bonne position : tête et buste en avant et on appuie en allongeant bien la jambe, tu fais partir ta force des reins et dans le mouvement circulaire coulé du fémur tu transmets ta force et ainsi tu montes, oh ! Pas vite, mais tu montes. Le revêtement présente quelques absences, mais à trajectoire. Malgré tout, il fait bon dans ce col. Sous l'ombrage des épicéas, dans le sillage d'un torrent, nous respirons un air tonique et vivifiant. Quatre kilomètres plus haut, nous rejoignons le sommet pour ensuite atteindre la route du Col d'Aspin dont les deux derniers kilomètres ne sont qu'une formalité. Du sommet, une magnifique vue enchante notre regard. Un moutonnement verdoyant, ponctué ça et là des sinuosités des routes, s'étage vers la Vallée d'Aure. De l'autre côté trône l'Arbizon dans un ciel d'azur, véritable Olympe où semblent camper les forces de la nature. La descente s'effectue à bonne allure et, dans la vallée où je me retrouve seul, j'ai la désagréable surprise de faire face à un vent dont je me serais bien passé. Il commence à faire chaud, cependant, à Sarracolin j'opte pour un arrêt diabolo-menthe. A nouveau en selle, je me fais rattraper par un groupe au milieu duquel se trouve, oh ! Surprise. Un copain compatriote du Cellier (44). Alors nous roulons de concert, conversant de temps à autre et c'est ainsi que chacun prenant le relais, nous atteignons Saint-Bertrand de Comminges. Le bourg se dresse face à nous dans son site ceinturé de remparts où s'impose la cathédrale, témoin monolithique de l'histoire. Après le ravitaillement, nous finissons tranquillement le brevet, heureux de revoir Saint-Gaudens et ravis de l'accueil chaleureux des organisateurs. Ça y est, la boucle est bouclée, le sixième et dernier BCMF de la saison est effectué. Il ne me reste que formuler trois remarques en guise de conclusion. La première s'adresse aux dirigeants de la FFCT: l'idée de créer la catégorie "Touristes" est géniale. Ainsi il m'a été possible de découvrir les cinq massifs tout en permettant de reprendre le travail le lundi matin, lorsque on n'est pas encore en congés. Nous les maritimes, désirons aussi jouir d'un relief changeant et plus accentué. En terminant les brevets vers 14h, on peut rentrer chez soi dans le reste de la journée. De plus on peut réaliser les brevets sans être tenu de les effectuer la nuit. Moi, je n aime pas rouler nocturne, car je perds les paysages. Quelles découvertes y a-t-il ? Et je ne parle pas de la sécurité dans les descentes. Ceci dit, je n'ai rien contre ceux qui roulent de nuit. La nuit, j'ai fait le BRA, bien sûr il y a le côté sportif. Je ne dis pas qu'il ne faille pas vivre cette expérience, mais maintenant je suis un adepte du jour. J'ai toujours eu une certaine réticence vis-à-vis du sombre, aussi je crois que cette formule BCMF touriste a un bel avenir. En second lieu, je tiens à remercier et féliciter tous les organisateurs. Voilà des gens qui sacrifient deux jours pleins (sans parler de l'avant et après organisation) pour t'accueillir et te bichonner. Ainsi, quand mon club organise sa randonnée, ayant bien retenu la leçon, je me fais un devoir de me dévouer à mon tour. Il faut bien se dire que ce qui fait la force de la FFCT, c est l'abnégation et le dévouement de tous ses adhérents. A la FFCT tu n'es pas seulement un consommateur, tu te dois de temps à autre d'être le pourvoyeur du cyclotourisme. Enfin je voudrais affirmer, pour terminer, que ce que j'ai réalisé, n'a rien d'extraordinaire et que tout un chacun peut en faire autant, d'ailleurs je n'ai pas été le seul à le faire. Les BCMF rassemblent environ mille cyclos et cyclotes chacun, c'est te dire si c'est bien ! Aussi, ami, si tu veux découvrir et jouir des plaisirs à "cycler', tu ne peux que t'essayer dans les BCMC, alors je te dis à cette année sur les routes de montagnes, si belles, si variées, originales et pittoresques. Guy Bourmaud |