Au cours d'un voyage cyclo-muletier dans les Alpes-Maritimes je fais étape au refuge des Merveilles dans le Parc du Mercantour, avec l'intention de franchir le lendemain le Col de l'Arpette. 2 juillet 1991 : Le grand bol de café noir nous est servi par les gardiens du refuge. Il est 6h3O et au dehors la température est fraîche (nous sommes à plus de 2000 m). C'est idéal pour entreprendre la montée du Col de l'Arpette. Poussant le vélo, je progresse à flanc de montagne, au dessus du lac, salué par quelques marmottes peu farouches, habituées qu'elles sont à voir passer des randonneurs. Vers 2200 mètres la lumière matinale fait étinceler les eaux dormantes du petit lac de 1'Huile. Une heure de poussage et le col est atteint. Altitude 2511 m. Mon centième col à plus de 2000 m. Emotion et contemplation. Toutes les conditions sont réunies pour rendre cet instant inoubliable. On découvre de cet endroit et à ce moment précis tout ce que peut souhaiter trouver un amoureux de la haute montagne : le décor grandiose des sommets environnants qu'un éclairage en contre-jour rend un peu irréels, le calme total, la merveilleuse lumière du matin et le fond des vallées habillé d'un restant des brumes de la nuit. Si j'étais talentueux cinéaste, je fixerais ces fantastiques tableaux sur la pellicule et y remplacerais le silence par des airs de guitare de Chet Atkins ou de Mark Knopfler. J'imagine ce que cela pourrait donner... Hé, mon vieux, ce n'est pas le moment de rêvasser! Il faut maintenant plonger dans ce trou. Il y a 800 m de dénivelé à redescendre pour rejoindre la vallée de Gordolasque. Le sentier est trop étroit pour laisser passer côte à côte un marcheur et une bicyclette. Monter sur la bicyclette... Il n'en est pas question, même si je possédais un parachute. La seule solution est donc que le marcheur porte la bicyclette. C'est lourd un VTT équipé de deux sacoches, a fortiori lorsqu'on chemine sur une pente extrêmement raide. J'ai de bonnes chaussures antidérapantes, heureusement et j'ai pris la résolution de mettre un pied devant l'autre, tranquillement, quel que soit le temps que ça demandera. PRUDENCE d'abord, la moindre chute pourrait prendre en de telles circonstances, des proportions dramatiques. Je croise quelques randonneurs pédestres qui montent au refuge des Merveilles. C'est l'occasion de bavarder un peu. Bien entendu, ils s'étonnent de rencontrer un cycliste et je n'échappe pas à la photo souvenir ou à quelques mètres de caméscope (très à la mode !) Lors de projections familiales qui succèdent aux vacances on parlera dans les chaumières de ce 'dingue' qui portait son vélo au risque de se casser le cou sur les pentes rocailleuses du col de l'Arpette. |
Le sentier longe une conduite forcée qui canalise l'eau vers les turbines de la centrale visible dans la vallée, près de la route. De l'endroit où je me trouve, c'est-à-dire à mi-descente, le coup d'œil est impressionnant, le sentier est quasi vertical. Pourtant avec de la patience le but se rapproche. Je sursaute lorsque le petit chamois, surpris lui aussi, bondit dans les broussailles. Je ne sais lequel de nous deux a été le plus effrayé ? C'est avec un grand soulagement que je pose pied (et bicyclette) sur la terre ferme. Il y a 4 heures 30 que j'ai quitté le refuge. Mais je suis arrivé à bon port, c'est la seule chose qui importe. Je regarde un instant là-haut, vers le col, c'est terriblement raide et dans cet amoncellement de rocs et de broussailles le sentier est invisible. Je suis vraiment heureux et fier d'avoir réussi cette traversée difficile. Certes, je n'ai pas la prétention de croire que je suis le premier. Je n'imagine pas un instant que depuis ce matin les roues de mon vélo ont foulé des lieux "où la main de l'homme n'avait jamais posé le pied" ! Evidemment quelques cyclo-montagnards sont déjà passés au Col de l'Arpette mais ils ne sont sans doute pas bien nombreux. Mon voyage va se poursuivre vers la Haute-Vésubie et le Boréon, d'autres cols muletiers m'attendent. Pour le moment je me laisse glisser en douceur sur l'excellent revêtement de la route qui descend la vallée de Gordolasque. Agréable transition ! Abel LEQUIEN Auxi-le-Château |