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COLS CROATES : IL JURA, MAIS UN PEU TARD...

Revue N° 18 Page 16

Au cours de la longue descente de Gornje Jelenje sur Rijeka, j'étais non seulement gelé et trempé jusqu'aux roulements à bille, mais en plus quelque peu amer : deux semaines que je roulais en Yougoslavie sous la flotte. Et ce premier mai, la pluie et le froid, transformés la nuit en neige, m'obligeaient cette fois à abandonner la montagne. Trop, c'était trop. Seule maigre consolation : à force de squatter de nuit des maisons en construction, à l'abandon, j'avais réussi à maintenir ma tente-abri et mon couchage à peu prés au sec. Quant au reste... les vêtements, la bouffe, les sacoches, le bonhomme, tout çà passer à l'essoreuse ! Tout juste s'il n'y avait pas de l'eau dans le gaz...

Non, on ne m'y reprendrait pas de sitôt, à rouler en montagne. A la sortie de Rijeka, je tombais du reste sur un cyclo Suisse parti de Thoune, vers les rives ensoleillées de la Grèce, puis d'Israël... et peut-être au-delà. On s'est même filé un bien hypothétique rencard pour l'Australie, le continent le plus sec au monde ! Lui venait du col Ucak (prononcer " bien sûr " outchac) franchi sous la neige fondue. Pas par là que je me dirigerai, pensais-je en me goinfrant de cappucini avec lui.

Et puis, ragaillardi par cette rencontre et par une espèce d'accalmie de cette météo " archedenoëienne " voilà-t-y pas que mon vélo, n'en faisant qu'à mon guidon (à la guidoline détrempée) pousse insidieusement, et sans même que j'y prenne garde, ma roue avant sur les premières pentes de cette montée ; et la roue arrière de suivre bêtement ! Pas une pour rattraper l'autre...

Les cartes routières privilégient aujourd'hui la route expresse du tunnel. Dans le meilleur des cas, l'ancienne route par le col est vaguement indiquée, mais on ne sait même pas si elle est revêtue, ni où elle commence. Je vais donc parcourir en toute innocence les premiers kilomètres sur la voie expresse qui s'élève doucement au-dessus du Golf de Rijeko : le long de côtes étonnamment boisées, les tâches claires des maisons de Rijeka, Opatija, Kastav, à l'assaut des pentes des montagnes toutes proches. Voir Rijeka et rouler...

Finalement, au moyen d'un " barreau d'interconnexion " du VPV (Vélo à petite vitesse), je vais retrouver la route du col, revêtue d'un bon bitume à faire pâlir d'envie les rues pavées de notre bonne vieille capitale. Revêtue certes, mais pentue : il ne suffisait pas que ça grimpe du niveau de la " more " jusqu'à 953 m, il fallait que ça le fasse avec le moins de kilomètres possibles ! Les pancartes se succèdent : 12, 13, 14 %, la route me regarde de haut. Encore un peu, et l'aiguille de l'altimètre va bouger à chaque coup de pédale !
En arrivant non loin du col, la saucée qui reprend : non, ça ne pouvait pas rester plus de cinq heures sans se rappeler à mon bon souvenir...La sympathique proprio d'une gostiona (buvette), prenant pitié pour mon air de chien mouillé battu et mon encombrant équipage encore alourdi par les kilos de flotte ingurgitée, m'offre un thé brûlant. Tudieu que ça fait du bien ! Discussion tantôt en allemand, tantôt en italien. Parce que pour moi le serbo-croate, c'est de l'hébreu, sorti de dobar dan (bonjour) et ne razumem (je ne comprends pas !).

Si le soleil n'est toujours pas de la partie, par contre la pluie s'est déjà arrêtée. Un feu de paille, en quelque sorte. Ou un coup d'épée dans... bon. D'habitude, çà commence à pleuvioter dés midi pour ne pas arrêter avant le soir... ou la nuit.

Depuis Rijeka, j'avais visé l'antenne trônant sur la pointe dominant le col. Il existe sûrement une route d'accès depuis le col, mais probablement zabranje za stance (interdite aux étrangers). Eh bien non, il s'agit d'un relais télécoms, interdit à tous véhicules sauf PTT. Mais je suis postier ! En toute logique, et presque toute bonne foi, une fois, me voilà en train d'escalader les lacets de cette route déserte. Escalader, çà classe ; çà fait très " quel héros, quel homme, quel exploit ! ". Merci la foule pour vos applaudissements nourris : vous avez affaire à un authentique champion. De l'esbroufe. Bon, j'en perds le méandre de mes lacets, c'est une chose sûre (et en plus, il nous refile même des calembours éculés).

En fin de parcours, un tronçon spectaculaire : la route taillée dans la falaise, quasiment accrochée au-dessus du vide, 1300 m au-dessus de la mer, située à moins de 5 km à vol d'oiseau, pchi, pchi, pchi... Du sommet, à 1396 m d'altitude, une vue circulaire sur le Golfe de Rijeka et son cirque de montagnes de toutes parts, dont les 1500 m sont couvertes de neige un premier mai ! Apparaissant toutes plates dans ce relief abrupt, les îles de Cres et de Krk. Non ce n'est pas une faute frappe, Trieste devient Trst. Succès garanti au Scrabble. A l'opposé, la presqu'île de Pula, Istria, parti intégrante de l'ancienne province italienne de Fiume (Rijeka), jusqu'en 43. Voilà qui peut servir pour les jeux télévisés, faut pas perdre une occasion de s'instruire, mes petits.

Ah, j'allais oublier (mon œil, bonhomme !) : de l'autre côté du col, la route redescend avec des passages signalés 18 % : frayeurs garanties sur route mouillée et dans le brouillard remontant vers la ligne de crête... (j'avais bien dit que j'étais un héros. Et vous qui ne vouliez pas me croire...). Mais cette route peut constituer un bon moyen, depuis Trieste, de gagner Rijeka. Si vous aimez la montagne (la provoc', maintenant !)...

Frédérick Ferchaux

Vincennes


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