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Fabien

Revue N° 14 Page 37

Fabien, c'est mon pote. Un gars qui compte et sans lequel je ne serais pas tout à fait ce que je suis. Bref, Fabien, c'est quelqu'un.
Je l'ai rencontré, il y a quelques années déjà. C'était l'été 1978. Mes parents avaient choisi le village vacances de la Roche du Faucon pour y passer leurs congés. J'avais suivi. Mais, pas seul... Non, je ne sais pourquoi, cette année-là, je décidais d'y aller avec ma bicyclette, une lourde machine, aux pneus larges, aux développements pas du tout adaptés à la montagne. Pour arriver à la Roche du Faucon, ce fut déjà toute une épopée. Peu après la Fischhüte, j'étais à la ramasse. Le soleil se moquait de moi. La sueur fuyait mon corps en ébullition. Les mille derniers mètres avant Grendelbruch furent effectués en deux temps, à l'arrachée. A la fontaine du village, je fis le plein d'eau avant d'entamer la dernière partie de mon ascension, la plus difficile, la plus pénible. Arc-bouté sur ma bicyclette, les yeux rivés sur la route, les muscles tendus par un seul et même effort, je progressais lentement. Je torturais mon corps avec une rare violence, mais je savais que ma délivrance était à ce prix. Lorsque le sommet de la côte m'apparut, je risquais un sourire avant de plonger sur La Roche du Faucon.

Me remettant de mes émotions, j'aperçus une bicyclette sur le balcon d'un chalet. Une belle bicyclette grise, légère, comme celle du "Tour de France". Je fis la connaissance de Fabien au bistrot qu'il tenait durant les vacances. Tout de suite, je remarquai ce garçon brun, pas encore barbu, un peu timide, très distingué, intelligent, mais réservé. On nous présenta. Notre point commun, bientôt, nous rapprocha : la bicyclette. Celle du balcon, c'était la sienne. Déjà, nous projetions une randonnée à travers le massif vosgien.

Et, le grand jour arriva. Tout était prêt. Sandwichs et bidon étaient dans la musette. Nous pouvions partir. Notre premier obstacle se nommait col du Hantz. Grâce aux conseils avisés de Fabien, je parvins au sommet sans avoir été contraint de poser pied à terre. A l'ombre des sapins du col, nous grignotâmes nos premiers sandwichs. Les cols de Saales, de Salcée et de Steige nous conduisirent au pied du Champ du Feu, le plus haut sommet bas-rhinois avais-je appris à l'école ! L'ascension fut difficile et ponctuée de nombreux arrêts car, ma bicyclette, si vaillante en plaine, atteignait ses limites lorsqu'un tel obstacle se présentait à elle. Fabien m'offrit son soutien, toujours, m'autorisant à m'arrêter souvent, mais pas à marcher ; et au col de la Charbonnière, seuls deux kilomètres nous séparaient encore du but. Rassemblant mes dernières forces et tout mon courage, je suivis Fabien jusqu'au Champ du Feu où la souffrance fit place à une formidable joie. Joie d'avoir vaincu la montagne, joie aussi d'avoir surpassé mes doutes et mes appréhensions.
Notre amitié était scellée. Quelques mois plus tard, je pus acquérir une bicyclette, toute rose, comme la vie, grâce aux sous que m'avait donnés Madame Cus à l'issue de mon premier stage d'été. Le printemps vit la naissance de nombreux projets de vacances. Finalement, aucun ne se réalisa. Mais, nous partîmes quand même. Pour la capitale. Fabien avait tranché.

Je me souviens de notre première étape comme si c'était hier. Deux cents kilomètres avec deux sacoches à l'arrière. Et une première crevaison après seulement vingt kilomètres de route. J'étais tellement énervé que Fabien dut changer lui-même mon boyau. Le soir, à Saint-Mihiel, nous goûtions à la quiche lorraine et à une certaine liberté. Notre deuxième étape, raccourcie à cause des intempéries, nous conduisit à Châlons-sur-Marne. A l'auberge de jeunesse, un journaliste qui faisait un reportage pour le quotidien local, nous rendit célèbres à travers tout le département. Le lendemain, nous n'étions pas peu fiers de figurer en bonne place sur la deuxième page du journal. La journée commençait bien. Pour rallier Paris dans la soirée, j'eus beaucoup de peine. La chaleur et la fatigue faisaient apparaître mes limites.

Pourtant, elle était là, la capitale, toute proche. Je sentais la Tour Eiffel comme mes douleurs dans les jambes. J'eus trois jours pour récupérer. En arpentant les rues de la ville, la plus belle du monde affirmait un copain de classe originaire de la capitale, en visitant monuments et musées, en grimpant au deuxième étage de la Tour Eiffel, en canotant sur les bassins de Versailles. Nous avions atteint notre premier objectif : devenir des hommes libres. J'avais 17 ans, Fabien, une année de plus. Le retour se fait sans autre péripétie. Depuis, nos vacances d'été sont devenus une tradition. Après Paris, ce fut le Bénélux et la R.F.A. en 1980, les Alpes en 1981, les Pyrénées en 1982, à nouveau les Alpes en 1983 et en 1985.

Nous sommes devenus deux complices qui utilisent la même partition. Notre entente est parfaite. Point n'est besoin de mots pour se comprendre lorsqu'un même enthousiasme vous anime. Et, malgré ma fierté, je sais que je lui dois tout ce que j'ai réalisé à bicyclette. En particulier un Bordeaux-Paris et notre diagonale Strasbourg-Perpignan. De la même manière, je sais que, sans lui, jamais je ne réussirais Paris-Brest-Paris, une nouvelle diagonale ou... le Tour de France. Fabien, tu m'as donné ma chance un jour de 1978, ne me la retire pas aujourd'hui. Et, ensemble, nous irons au bout de nos rêves...


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