Ce samedi 12 janvier 85, la Saône est prise par les glaces. Tout est paralysé par le froid. Le thermomètre lui-même est figé vers moins 14. La brume humide, épaisse, glaciale transperce tout, vous fêlant jusqu'à la moelle. Pas un bruit, pas un son, toute vie est éteinte dirait de Maupassant. Dans cet univers hostile et stérilisé, il apparaît maintenant tout proche, à la portée de ma main. Malgré ses 2406 mètres d'altitude, c'est un discret, un oublié, écrasé qu'il est par son aîné, le GALIBIER qui lui vole la vedette depuis toujours. Ce n'est pourtant pas un modeste, un sans grade mais la nature l'a affligé de ce voisin réputé. C'est vrai qu'il n'y en a que pour lui et c'est vraiment sans un regard, sans aucune attention, ignoré, que le point 2406 est franchi. Lui ne sera pas sur la photo, notre attention étant bien trop fixée 240 mètres plus haut, sur les derniers lacets qui conduisent à la dépression libératrice du Galibier. Quelle injustice ! Et pourtant, combien de coups de rein douloureux, de perles de sueur piquant les yeux, de crispations moites sur le guidon m'as-tu coûté ? Mais sois sans crainte, il y a toujours un juste retour des choses. D'abord, dis-toi bien que si le Grand qui te fait de l'ombre semble te mépriser un peu, c'est quand même toi qui délivres le certificat de passage. Ensuite et peut-être ne le sais-tu pas, tu as les honneurs de l'Encyclopédie CHAUVOT qui t'a baptisé 77-07-63-169 D 902. Un beau numéro n'est-ce pas ? C'est d'ailleurs grâce à ce numéro que je t'ai découvert par cette glaciale matinée d'hiver. |
Mais sois sans inquiétude, j'ai pris mes précautions. Mes orteils sont douillettement calfeutrés dans mes cale-pieds molletonnés et mon postérieur est confortablement calé sur un cuir de fauteuil. Le seul élément de mon corps qui soit en mouvement est mon nez qui va inlassablement du guide à la carte et de la carte au guide découvrant ainsi que tu t'appelles COLLET DU PLAN NICOLAS. Mille fois pardon, par deux fois, je suis passé sans te voir, sans même douter de ton existence. Maintenant, je sais que tu existes... Je t'ai rencontré. C'était fin juillet, il faisait un temps splendide et la fraîcheur de l'altitude arrivait à peine à faire oublier l'étouffante chaleur de la vallée de la Maurienne. Souviens-toi, c'est moi qui ai palpé ta dernière neige et foulé un instant ton herbe toute neuve. J'en ai d'ailleurs profité pour fixer le GRAND une dernière fois avant l'estocade finale et il m'en a voulu le bougre ! Tu es un bien beau col tout de même, même si les hommes t'ont baptisé COLLET... Pierre MOUNIER Caluires |