Revue N°5 page 40

VARIANTES EN DAUPHINE

 

 

Un grand nombre de cyclotouristes connaît le BRA (Brevet de Randonneur Alpin), qui traverse le Haut-Dauphiné par le Galibier et la Croix de Fer. Sans rien ôter à la valeur de ce brevet, il faut bien reconnaître que le Lautaret présente des passages sans grand intérêt ; le Galibier, malgré ses 2645 m devient un col civilisé, quant à la vallée de la Maurienne et de la Romanche, n’en parlons pas !

Existe-t-il dans une région aussi sauvage des itinéraires plus proches de la montagne, éloignés des usines qui empestent les vallées, faisant le minimum de concession aux grands axes routiers ?

En partant du Briançonnais, on parvient à trouver un cheminement à peu près continu si on ne se pose pas trop de questions sur les pointillés figurant sur la carte.

Le passage-clé : le col des Rochilles. D’aucuns affirmaient qu’il s’agissait là d’un passage glaciaire ; d’autres, manifestement mieux informés, soutenaient que les glaciers s’étaient retirés depuis plusieurs millénaires et avaient creusé deux magnifiques lacs. Mais on soutenait également que ce n’était pas la place d’un vélo là-haut !

Autre passage-clé : le plateau d’Emparis, bien connu des amateurs du Haut-Dauphiné, qui permet d’éviter la longue remontée de la Romanche, tout en offrant une vue splendide sur les glaciers de l’Oisans.

Parmi les dingues du “ cyclo-asino-muletier ”, seuls purent se libérer pour deux jours Pierre PLANAS et Michel VERHAEGHE, tous deux profitant de l’absence de leurs épouses respectives pour faire une fugue.

Pierre émit quelques objections devant le nombre délirant de variantes proposées par Michel, mais céda dès qu’il put ajouter la sienne : le col du Granon, au départ de BRIANÇON…

Le samedi matin, à l’aube, au pied du col du Granon, c’est le grand beau, comme disent les gens de là-bas.

Premier coup de pédale… qui ne sera pas suivi d’un second, car le dérailleur de Pierre rend l’âme, un ressort brisé, la chaîne pendant lamentablement entre plateau et pignon.

Il faut redescendre sur BRIANÇON, réveiller la population, réparer…

Deux heures de retard – le col du Granon se grimpera une autre fois – Nos cyclistes prennent sagement la longue vallée de la Nevache. Le soleil leur fait des clins d’œil à travers les mélèzes.

Au terminus de la route, plus de mélèzes, un avis de l’autorité militaire avertit les promeneurs qu’il entrent dans le camp de tir des Rochilles et que, précisément ce 4 octobre, on procède à des tirs ! Pitié, messieurs les artilleurs. En fait, l’artillerie tonne bien plus loin, mais nos cyclistes n’en seront totalement convaincus qu’en ayant quitté la zone du champ de tir.

Le sentier n’est plus cyclable, mais il n’est pas si difficile qu’on a bien voulu le dire. Une heure sur ce sentier (à vaches, disent les alpinistes) et voilà les lacs, à plus de 2400 m. Le bleu-vert des lacs, les parois ocres tombant à pic, des plaques de neige et des pelouses à n’en plus finir, c’est l’endroit rêvé pour la pause du déjeuner.  Pierre, dont on connaît bien le goût pour l’eau bien fraîche, tente d’estimer la température de l’eau du lac. Michel, lui, se contente de remplir son bidon.

Après la pause, une descente des plus désagréables sur une piste de sable et de gravier, le passage au milieu du camp des Rochilles encombré de soldats… allemands, quelques slaloms dans les prairies du Plan Lachat, et c’est la deuxième variante : de Valloire à St Jean, en évitant la Maurienne de M. Péchiney.

Un passage délicat dans les barres rocheuses où la route départementale se fait sentier, et on rejoint la route à Albanette, puis St Jean. Les usines d’aluminium n’intéressent guère nos deux cyclistes, et ils prennent la route de St Sorlin d’Arves, par la troisième variante, le col du Mollard par Albiez Montrond. Montée dans le brouillard, au sens propre et aussi au sens figuré pour Michel, qui monte en somnolant et se retrouve soudain roue à nez avec une vache qui passait par là. La descente du col à 6h du soir achève de le réveiller et c’est l’hôtel à St Sorlin : point de fondue pour Pierre, mais un bon steak et “ du rab pour les morfals ” !

Le lendemain, à 6h on met le nez dehors : il gèle, mais toujours grand beau. On en profite pour monter la Croix de Fer bon train et contempler le Mont Blanc à partir du col du Glandon.

La descente sur Bourg d’Oisans laisse quelques souvenirs glaciaux aux imprudents partis sans gants.

A Bourg d’Oisans, un café réchauffe nos cyclistes frigorifiés. Une petite réparation s’impose sur le dérailleur de Michel, car de la “ petite vitesse ” on aura besoin par la suite.

Montée à l’Alpe d’Huez pour contempler Bourg d’Oisans au-dessus d’une mer de nuages ; montée au col de Sarennes ; montée à Besse, lestés d’un bon déjeuner, et au plateau d’Emparis par une route très pentue (la même que contemplait Michel le matin même du haut du col de Sarennes ; le pauvre était persuadé que l’itinéraire passait ailleurs et se réjouissait de n’être pas de ces cyclistes qui montent de telles routes !

Le plateau d’Emparis se montre sous un ciel gris et tourmenté. De l’autre côté de la Romanche s’étendent des glaciers grisâtres, zébrés de crevasses. La Meije à 4000 m pointe ses dents dans les nuages. Michel s’attarde, cherche ici l’emplacement d’un refuge, là une voie zigzagant entre les crevasses ; mais Pierre le ramène aux réalités : on est à 2300 m, il est 5h du soir, et il faut descendre.

Tantôt à bicyclette, tantôt à pied, ils dévalent les pentes qui mènent au Chazelet coupant par les pierriers, effrayant au passage une vieille dame qui les voit portant, tirant, poussant, retenant leurs vélos.

La fin de la journée est moins glorieuse. La nuit est tombée, et avec elle, le brouillard et le froid. Michel monte le Lautaret à un rythme proche de celui d’un gastéropode. Malgré leurs éclairages, les deux “ cyclo-nocturnes ” sont à peine vus par les voitures. Pierre crie, hurle, gesticule dans la lueur des phares ; Michel moins téméraire, choisit le profil parfois rude du bas-côté de la route.

Enfin, ils atteignent BRIANÇON, sains et saufs.

Il y avait quelques variantes de trop, leur direz-vous. Peut-être, mais notez qu’il n’y eut jamais de hâte, et le jeu en valait bien la chandelle.

Si vous vous laissez tenter par une entreprise de ce genre dans le Briançonnais et le Haut-Dauphiné, prévoyez plutôt trois jours, il y a tant d’autres variantes.

 

Michel VERHAEGHE d’Antibes (06)