Revue N°5 page 18

LE PASSAGE DU COL DE MISCON

 

MISCON c’est un petit village du DIOIS, près de LUC, au fond d’une verdoyante vallée où coule paisiblement le RIF.

C’est un cul-de-sac dira l’automobiliste, et cependant il existe une ancienne voie de passage qui permettrait d’atteindre BOULC, charmant petit village moyenâgeux, situé dans une autre vallée par delà le Col de MISCON, à 1023 mètres d’altitude.

Le cheval-vapeur ne peut passer là où durant des siècles, voire des millénaires, allèrent les hommes de la terre et les marchands-colporteurs au pas lent du mulet, ce moteur à crottins. Mais nous autres, cyclo-montagnards, sommes les muletiers de ce XXè siècle finissant, qui empruntons ces merveilleux passages où comme nos devanciers, nous pouvons, en toute quiétude, respirer à pleins poumons, voir, entendre et sentir toute cette nature, essence même de notre vie.

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Par une belle journée de fin août dernier, j’ai inclus ce trajet dans un itinéraire en circuit passant par les Cols de GRIMONE-LA-CX-HAUTE-MENEE, de vieilles connaissances que l’on aime toujours revoir.

Ce passage du Col de MISCON, hors des sentiers battus, je l’aborde, comme toujours dans ce cas, avec une certaine émotion et un intense désir de découvrir ; c’est la petite aventure de ma journée.

Ce pointillé sur la carte Michelin 77, quel est son mystère ? Voie obstruée par les plantes épineuses ? Abrupt de falaise ? etc… Faudra-t-il que je revienne sur mes pas, faute d’avoir suivi le bon chemin ?

Je médite sur ces alternatives en mettant pied à terre, après avoir traversé l’étroite ruelle du village de MISCON, là où le vélo perd de son utilité pour devenir une charge qu’il faut porter ou pousser.

Les renseignements recueillis sont, comme d’habitude, plus ou moins précis. Trois voies s’offrent à nous après avoir passé le gué ; l’on doit prendre la plus mauvaise celle du milieu, car les deux autres, en meilleur état, vont en direction d’une ferme à gauche, et dans les champs cultivés à droite.

Le chemin qui va au col est pavé au début, mais envahi de broussailles et de buis, puis il apparaît plus net et bien tracé en direction du sommet que l’on devine depuis le village. Il s’agit plus d’un chemin que d’un sentier, et il s’élève droit au col qui se trouve juste dans l’axe du thalweg ; par contre, l’autre versant débouche perpendiculairement à la vaste vallée du BOULC.
La rigueur de la descente se trouve atténuée par plusieurs virages successifs et très aigus, puis l’on suit un ruisseau dans la plaine jusqu’au village de BOULC.

On atteint le col assez facilement, sans portage, bien que la montée soit fortement ravinée et à déconseiller à la suite d’orages car il y aurait beaucoup de mal à se dépêtrer de la boue gluante. Le sol est assez mouvant, limons et marnes enserrent les roches sédimentaires brisées en petits morceaux.

Il  n’y a pas de socle apparent, ce qui laisse à penser que ce passage de petite montagne résulte d’un amas de moraines glaciaires et d’alluvions.

Ayant atteint le col au travers d’une forêt de plus en plus ample, et dans les prés, il faut chercher la voie descendante.

On la trouve, grâce à quelques arbres qui attestent d’une occupation assez récente des lieux (pommiers – pruniers – poiriers). Le toit d’une demeure inhabitée, mais encore en bon état, apparaît bientôt en-dessous du col, de suite le chemin est bien tracé mais fort rocailleux et la prudence commande de marcher encore.

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Pourquoi hâter le pas ?

Le passage est si calme, de la forêt émanent de délicieux effluves, prémices de l’automne, et l’on entendrait voler une mouche.

“ Mais, qu’ouïs-je ? ” diraient les ancêtres de ces lieux. Un petit bruit bien rythmé résonne et croît au fur et à mesure que je descends. Passant encore un virage, je vois une dame accroupie, tapant dans le chemin à l’aide d’un petit marteau, et tout près un homme, le mari sans doute, qui fore dans la butte en se servant d’un pic à manche court comme en utilisent les maçons.

Y aurait-il encore dans cette région des cantonniers sachant se servir de leurs mains comme au début de ce siècle ? Ces deux personnes sont-elles de l’âge de la pierre taillée ou de l’âge que l’on qualifie de troisième ? Mais non, il n’y a pas d’âge pour le bonheur et la joie de vivre ! En tout ca, elle semblent bien épanouies et heureuses.

“ Eh bien ! la voilà la reconversion des retraités ” me dis-je en abordant l’homme, toujours à l’ouvrage avec son pic.

“ Alors, on cherche le bon filon ! ”. L’honorable Monsieur repose son pic et me sourit.

“ Il y a de beaux fossiles, nous y venons chaque été car nous avons une maison à MISCON ”. “ Voyez vous-même ” ajoute-t-il en me présentant une de ses découvertes… Un instant, puis la dame s’exclame et vient prestement nous montrer une belle empreinte de coquille saint jacques à peine brisée sur les bords, et qu’elle vient d’extraire de la gangue au bord du chemin.

“ Il y a beaucoup de sédiments calcaires fossilisés ” dit le mari, et la conversation prend corps, faisant suite aux bribes de paroles du premier contact. J’apprends ainsi que le Monsieur est professeur honoraire d’une faculté lyonnaise et qu’il a fait, jadis, une licence de minéralogie.

Je continue à descendre, le vélo à la main, et, regardant les pierres de plus près, j’y trouve à mon tour des spécimens des fonds marins ; de quoi méditer longuement sur l’origine de l’homme et sur sa condition.

Je ne vous conterai pas la suite d’une journée qui fut magnifique et bien remplie, et que l’on voudrait interminable.

Jean LONGEFAY de Savigneux (01)