Revue N°
3 page 45CYCLO-TOUR ... DES DIABLERETS
par André VOISIN de GERARDMER (88)
Je vais vous suggérer une virée qui n'est pas de tout repos, mais qui vous laissera d'inoubliables souvenirs si. le beau temps vous favorise ... et si porter le vélo ne vous fait pas peur.Après une semaine plutôt mouillée, ce 25 août, le beau temps est revenu et il paraît que ça va durer. Alors, en route pour un cyclo-muletier que je mijote depuis quelques semaines. Pour moi, un attrait nouveau ... et aussi un souci : j'emmène mon jeune fils ! C'est un cyclo quasiment débutant ; ce sera pour lui le baptême au feu (et quel baptême !) Du pot ! Dans l'arrière de la voiture, j'ai pu caser les deux vélos. Baie, Berne, Fribourg, Gstaad ... nous arrivons à Gsteig (comme ça se prononce !) à 18 heures. Le petit terrain de camping communal est au bord du ruisseau, presque vide. Notre route de demain, celle du Col du Pillon, fait une longue boucle juste au-dessus.
Lever 5 heures. Clair de lune. Tout est trempé de rosée. A 6 heures, c'est parti. Bientôt, le soleil rosit les sommets qui nous dominent, mais en dessous, c'est plutôt frisquet. Il y en a qui montent des cols "en fumant la pipe" ; nous on les monte en mettant les mains dans les poches. Col (1546 m) 6 h 25. La descente sur le village des Diablerets est assez forte et j'ai l'imprudence de laisser Philippe en tête. Dès les premières maisons, il arrive un peu vite dans vn virage qui, au départ, n'annonce pas la couleur mais se referme vicieusement sur la fin. Voilà mon jeune pris au piège ! Deux voitures, - les deux premières de la journée - et juste dans ce virage ! Coup de frein en catastrophe ; déporté sur la gauche par sa vitesse, il passe à cinquante centimètres de la première bagnole, amorce un bref dérapage de l'arrière, frôle au millimètre la portière arrière de la seconde, se rétablit miraculeusement dans le talus de gauche ...et refile à droite sur sa lancée comme si de rien n'était. Manque pas de réflexes, mais je vous assure, à écrire cet épisode, j’en ai encore le coeur qui bat. Ouf ! on a eu chaud. Mais maintenant, mon gars, c'est terminé. Tu mettras la gomme, d'accord, mais derrière moi.
Heureusement, c'est tout de suite la montée ensoleillée du Col de la Croix et ça fait diversion. Route flambant neuve, en pente régulière, dominée à contre-jour par la corniche neigeuse qui ourle la crête des Diablerets. Arrêt au col (1750 m) pour manger un peu. Vue sur le Mont-Blanc qui, au ras de la brume, a mis ses glaciers au soleil. La route est à nous seuls, ou presque. Trois soldats suisses nous font un amical bonjour avant de disparaître en jeep. La Suisse est perpétuellement en guerre, et vous ne pouvez, pas faire dix kilomètres à quelque saison que ce soit, sans y trouver des "troufions" en manœuvre. Les bombes atomiques, ils s'en foutent, ils ont tellement de réservistes !
La descente sur Villars, en virages bien dessinés, est un enchantement. Ça va si vite que notre ombre arrive tout juste à nous suivre. Authentique ! (ou presque). Notre troisième "os" de la journée est le Pas de Cheville ; mais là, en fait de boulevard, on ne voit sur la carte au 50.000 ème qu'un tracé pointillé intermittent. Traduisez : il y a un sentier, mais pas partout. Le rond de cuir à binocle de l'Office du Tourisme auquel je demande ingénument si on peut y aller en vélo n'en revient pas, et son accent vaudois nous en apporte confirmation : "Monter là-haut avec des bécanes, c'est pas une chose à faire ; vous allez porter vos engins pendant trois heures ; meilleur temps d'aller par Martigny "... Ramer au milieu des "aoûtiens ", on n'est pas là pour ça. Je consulte Philippe qui est perplexe, mais s'en remet à moi. Alors, cap sur l'aventure ! La petite route serpente parmi les tire-fesses de la station de sports d'hiver la plus chic du pays vaudois. Quelques lacets à pourcentage sévère nous mènent au dernier hameau, paisible dans son cirque de montagnes : Sollaleix. Au-delà, il ne reste qu'un chemin caillouteux et raide où ne s'aventurent que les "tous-terrains". Pour nous, des petits bouts sur la selle, mais des grands bouts à côté. Une jeep nous croise : nos soldats du Col de la Croix. Par où ont-ils pu passer ? Mystère ! En tout cas, c'est de la guerre de mouvement !
A 10 h 10, le chemin nous débarque aux Bergeries d'Anzeinde, le plus beau coin de notre circuit. Au pied des formidables contreforts sud des Diablerets, autour des bergeries colorées, c'est le joyeux tintamarre des troupeaux. Les vaches, au long d'un ruisseau aux eaux claires, broutent une herbe rase en regardant d'un oeil étonné passer ... les vélos. Il y a tant de photos à faire que notre horaire commence à en prendre un coup.
Après Anzeinde, il n'y a plus que les touffes de gazon mais comme la pente est très faible, la montée en cyclo-cross est possible. Un chamois de belle taille, cent mètres devant nous, avance quand on avance, s'arrête quand on s'arrête... pas bêcheur pour deux sous. A 11 heures, sur nos montures, en slalomant entre les pierres, nous saluons le Pas de Cheville (2028 m). Arrêt casse-croûte au soleil, dans un îlot de petits rochers, face à une étincelante trilogie de 4000 : Weisshom, Dent Blanche, Cervin. La descente sur Derborence sera le plus pénible parcours de la journée. Le sentier raide et caillouteux est totalement allergique à la bicyclette et il faut porter, constamment en déséquilibre avec nos chaussures à semelles de cuir lisse. Ça m'amuserait plutôt, mais Philippe lui, un peu fatigué, n'est pas à la noce et, à deux reprises, il se répand dans la caillasse. Et comme dans la chute, c'est le vélo qui a le dessus, ça finit par faire mal. Enfin un long replat herbeux où l'on peut se remettre en selle un moment. Un nouveau sentier tournant, portage, et enfin ouf ! c'est Derborence. Dans le petit restaurant, c'est la révolution : on nous filme, on nous interroge et on nous bouscule. Des bécanes qui descendent de là-haut, ça on n'a jamais vu. Et mon fils, avec son vélo plus gros que lui, est l'objet de tous les regards... et de toutes les compassions. Lui, il reste impassible ; une seule chose compte : son orangeade. Sûr, il en a sa claque, mais il n'en souffle mot.
Maintenant, c'est sur un ruban d'asphalte impeccable que nous inscrivons nos virages bien coulés. Le Valais luxuriant vient à nous à vue d'œil. Une fois passé le premier village qui, dominant la vallée du Rhône (suisse !) se chauffe au soleil, vient une épingle à cheveux à gauche, un peu sèche. Je m'engage dedans sans méfiance, la pédale au ras du sol... et pfuitt ! Le pneu avant glisse, je me retrouve à plat ventre, tenant encore par le guidon ma monture couchée sur le flanc et dans cette posture peu glorieuse, elle et moi en chassé-glissé, nous traversons la route, brillante et lisse comme un miroir. L'émotion passée, le bilan est vite fait : vélo rien, bonhomme râpé ... sur le ventre. Faut le faire ! Quoi qu'il en soit, une route parfaitement sèche aussi glissante, jamais encore je ne l'ai vu. Mercurochrome, cordial, ravito et c'est reparti.
A 13 h 45, nous attaquons le Col de Sanetch sous la chaleur valaisanne qui fait mûrir tout autour les grappes prometteuses d'un "Fendant" de bonne cuvée. Mais au-delà de 800 mètres, il ne reste bientôt que les pruniers, les pommiers, puis bientôt la forêt. Après Daillon, dernier gros village, la route nous fait des caprices qui vont jusqu'à 27% de pente. Même à pied, c'est tout juste. Lorsqu'enfin le profil redevient plus raisonnable, Philippe sur son 35 X 28 et moi sur je ne sais plus quoi, nous pédalons "tranquilles" et prenons progressivement de la hauteur, face aux cimes blanches qui, de l’autre côté du Rhône, se parent déjà, à cette heure, de teintes plus chaudes.
Aux chalets de Tsanfleuron, une main secourable me tend un verre de fendant. Dussé-je en rougir de honte, j'en redemande. Mon jeune, parti en avant pour ne pas voir ça, est aux prises avec un tunnel noir ... comme un tunnel, et qui tourne, comble du vice ! Le soleil baisse... et les nuages montent. Le glacier des Diablerets s'offre à la caresse des nuées placides qui rampent mollement. Un ultime coup de rein, c'est le col : 2224 m. Photo vite fait, on met les doublures car le petit vent d'ouest qui accompagne le coucher du soleil est soudain glacial.
Le point culminant de cette journée exceptionnelle atteint, il ne reste qu'à descendre. Mais minute ! Après cinq kilomètres d'harmonieux virages, la route cesse au lac du Sanetch. Après, c'est par un sentier vertigineux, taillé dans la roche compacte, qu'il faut descendre sur Gsteig, les vélos brinquebalant sur des épaules endolories. C'est long, très long, mais la joie du "truc" qu'on a réussi est plus forte que la fatigue. Une bonne soupe chaude à Gsteig, à la nuit tombante, quelques coups de pédales pour remonter vers notre petite tente et nos duvets bien chauds. Philippe, que je croyais "mort", me met tranquillement trente secondes en un kilomètre, il paraît que c'est parce qu'il avait sommeil.
Et c'est fourbus mais contents qu'en moins de deux, nous glissons dans un sommeil aussi profond que réparateur.
A. VOIRIN.